L’atlas qui dresse la carte des fragilités sociales françaises

 

L’Assemblée des départements dévoile la nouvelle cartographie sociale réalisée par le géographe Christophe Guilluy, où coexistent métropoles et zones périphériques.

Emmanuel Galiero

RÉGIONS Les présidents des départements ont découvert l’« Atlas des départements 2016 : la représentation d’une nouvelle géographie des territoires », après trois jours d’échanges sur fond de vives inquiétudes budgétaires. Ces craintes ont été clairement exprimées, jeudi, par Dominique Bussereau. Excédé par la ponction de 400 millions d’euros « planquée », selon lui, dans le projet de loi de finances, le président LR de l’Assemblée des départements de France (ADF) a exigé le retrait immédiat de cette mesure, quelques heures avant l’arrivée du ministre Jean-Michel Baylet. Une motion en ce sens a été adoptée à l’unanimité au congrès. Dans ce climat électrique, la présentation d’un atlas des territoires soulignant les fragilités du pays allait difficilement dans le sens d’un apaisement des esprits, mais beaucoup étaient impatients de le découvrir.

Lorsque l’ADF avait contacté le géographe Christophe Guilluy, théoricien de la « France périphérique », pour lui demander d’élaborer une nouvelle géographie sociale des territoires, la commande n’était pas sans arrière-pensée. Il s’agissait bien d’apporter de l’eau au moulin de leur cause en démontrant la pertinence de l’échelle départementale pour mesurer l’état du pays et inventer des solutions. Pour Christophe Noyé, coauteur de l’atlas, l’intérêt de cette étude repose sur la place d’une collectivité considérée comme un acteur majeur du social.

« Aujourd’hui, il existe un clivage territorial entre des départements métropolitains et une France périphérique de zones rurales et de villes moyennes. D’un côté, on observe une concentration de l’emploi, de l’autre une désertification », explique Christophe Guilluy. Après avoir sillonné la France pendant quinze ans, il s’est forgé des convictions : « Je suis frappé par la pertinence du regard que les élus portent sur leur territoire. Ils ont vu, très tôt, l’émergence de cette nouvelle géographie », confie-t-il.

Son objectif n’était pas de rééditer les cartes des plus fortes concentrations de chômeurs et de pauvres qui dessinent les mêmes lignes de fragilité au nord, à l’est et sur le pourtour méditerranéen depuis trente ans. Cette fois, une dizaine d’indicateurs ont été sélectionnés, allant de la démographie à l’économie en passant par la sédentarisation, les catégories modestes, le niveau de revenus, la mobilité, la place des emplois à temps partiel, les propriétaires précaires… Ainsi, l’atlas peut être déchiffré comme une cartographie des fractures françaises. « Ce sont aussi des territoires où, lorsqu’on perd son travail, le retour à l’emploi est très compliqué. C’est la différence essentielle entre ces zones et les grandes métropoles », précise Christophe Guilluy.

Lorsqu’ils ont abordé la question de la sédentarisation dans les départements, les deux spécialistes s’attendaient à une surreprésentation des plus de 60 ans. En réalité, l’atlas a permis de comprendre que toutes les catégories d’âge sont désormais touchées, des jeunes aux actifs. Quand une usine ferme dans un département, les salariés concernés ne quittent pas leur territoire d’origine. « Le département est la dernière collectivité visible de la France des invisibles », résume Guilluy en désignant cette France désormais majoritaire.

« En termes de cohésion nationale, il est très difficile pour les politiques de penser autrement les territoires, estime enfin le géographe. Il ne s’agit pas d’un clivage gauche/droite, mais plutôt d’un fossé culturel entre les élus d’en bas et ceux d’en haut, entre une France populaire et une France plus intégrée à la mondialisation. » Une fracture qui, selon Christophe Guilluy, se retrouve même à l’intérieur des partis politiques.

Le Figaro 07/10/2016