Normale Sup, la fabrique mondiale de Prix Nobel

Les étudiants issus de petites institutions scientifiques d’élite ont les meilleures chances d’obtenir cette récompense

ÉDUCATION L’institution d’enseignement supérieur qu’il faut fréquenter pour avoir le plus de chances de décrocher un Prix Nobel est l’École normale supérieure de Paris (ENS). En moyenne, sur 10 000 normaliens, plus de treize finissent par devenir des Nobel. Loin devant le prestigieux California Institute of Techno­logy (Caltech) et l’université de Harvard ! De quoi pavoiser pour les Français, d’autant plus que Polytechnique, autre grande école publique française, pointe à la sixième position de ce classement concocté par deux chercheurs.

Jonathan Wai, spécialiste de l’éducation à la Duke University (Caroline du Nord), et Stephen Hsu, physicien à l’université du Michigan, ont examiné les 81 institutions mondiales qui comptaient au moins trois anciens élèves ayant reçu un prix Nobel en chimie, médecine, physique ou économie entre 1901 et 2015. Ils ont ensuite divisé ce chiffre par une estimation du nombre d’étudiants admis dans ces institutions.

« Ce classement est un moyen d’identifier les premiers cycles universitaires qui obtiennent un effet majeur. Il permet de réfléchir à ce qui fait la valeur d’une institution d’enseignement supérieur », a indiqué Jonathan Wai à la revue Nature, qui vient de publier cette étude.

Si l’on s’intéresse habituellement aux laboratoires universitaires où travaillent les Prix Nobel, il estime nécessaire de se pencher sur la formation initiale de ces derniers. Pour Jonathan Wai et Stephen Hsu, les prix, aisément quantifiables, sont par ailleurs un meilleur indicateur de la qualité des universités que des facteurs tels que la réputation, le taux d’obtention du diplôme ou les ressources financières.

L’ENS Paris et Caltech « sont de petites structures d’élite qui n’admettent, chacune, pas plus de 250 étudiants de niveau undergraduate (premier cycle universitaire, NDLR) par an, mais leur production de Nobel par diplômé est cent fois plus importante que celle de grandes universités de classe mondiale », commente le magazine Nature.

Wai a évalué les tendances au fil du temps. Les universités américaines, qui composent aujourd’hui presque la moitié de la liste des cinquante premières institutions classées, ont commencé à dominer après la Seconde Guerre mondiale. « Et tandis que la représentation de la France dans le Prix Nobel a décliné avec le temps, la place de l’ENS est restée constante en tête », observe Nature.

Les institutions publiques et surtout privées qui occupent les dix premières places sont ultrasélectives mais aussi richement dotées. Normale Sup ou Polytechnique viennent puiser à leur guise dans le vivier des classes préparatoires aux grandes écoles. Une fois admis, les élèves triés sur le volet sont coachés et très suivis. Les professeurs venus en voisins des universités françaises de la montagne Sainte-Geneviève peuvent se permettre de leur offrir des cours particulièrement ambitieux.

Mais quel est l’intérêt et l’impact d’un tel classement, vu le très faible nombre annuel de lauréats du Nobel ? Pour Jean-Yves Chemin, lui-même normalien, professeur de mathématiques à l’université parisienne Pierre-et-Marie-Curie, il n’est « pas étonnant que Normale Sup, qui sélectionne les jeunes esprits les plus rapides et brillants », soit bien notée.

Pour autant, ce classement « démontre surtout à quel point notre système éducatif est hyperconcentré et monolithique quand le système américain est plus éclaté ». L’endroit où l’on a fait ses premières années d’études « undergraduate » compte beaucoup moins aux États-Unis qu’en France. « On s’y spécialise moins tôt. L’idée de grande école n’y existe pas. »

Il serait pour lui plus fondamental de se pencher sur les caractéristiques des directeurs de thèse, dont certains ont « un talent exceptionnel » mais méconnu pour guider leurs étudiants. Comme ces professeurs de l’université d’Orsay ou de Princeton qui ont chacun récemment contribué à « fabriquer » deux Médailles Fields en mathématiques.

Notre dernier Prix Nobel de chimie, récompensé le 4 octobre, lui, n’est pas normalien. Mais Jean-Pierre Sauvage, diplômé de l’École nationale de chimie de Strasbourg, a passé sa thèse sous la direction de Jean-Marie Lehn, lui-même Prix Nobel de chimie en 1987…

Le Figaro 13/10/2016