Ailleurs : Quand les jeunes Bosniens se mobilisent contre le chômage

Le chiffre est vertigineux. En Bosnie-Herzégovine, 60% des jeunes sont officiellement au chômage. Dans ce pays qui a vécu le communisme et la guerre dans les années 1990, l’inertie n’est pourtant pas le maître mot.

Rejan est Bosnien. Il a aujourd’hui 26 ans et il a enfin trouvé un emploi comme juriste dans une ONG internationale. Pratiquement une exception, alors que 60% de ses jeunes compatriotes sont au chômage, soit deux fois plus que le taux de chômage global. Le rêve de Rejan ? Siéger comme juge à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Mais au début de ses études de droit à Sarajevo en 2009, Rejan n’avait jamais osé avoir cette ambition. “En première année à l’université, nous planchions sur des manuels des années 1980 qui listaient les différents ministères du régime yougoslave qui n’existe même plus !”, se rappelle-t-il, presque amusé.

Un système universitaire déconnecté des entreprises

En Bosnie-Herzégovine, l’université est complètement déconnectée du monde de l’entreprise et ne donne pas aux jeunes les armes pour trouver un emploi. “Elle leur apporte des compétences pratiques très limitées”, s’inquiète Timothy Johnson, économiste à la Banque mondiale.

Alors pour pallier aux lacunes de l’éducation formelle, l’institut de développement de la jeunesse Kult propose une formation complémentaire composée d’une dizaine de modules sur l’emploi, le management ou le leadership. Depuis dix ans, 300 personnes ont été formées mais le programme est très sélectif. Sur les 200 candidatures de cette année, seulement une vingtaine d’étudiants comme Rejan ont été sélectionnés. “Cette formation a changé ma vie !”, s’emballe le jeune homme, issu d’un milieu populaire. Pour lui, c’est évident : il n’aurait jamais pu décrocher un emploi sans cette éducation informelle

“Au bout d’un an, j’ai appris à parler anglais, à rédiger un CV, à prendre la parole en public et à gérer un budget. Mais surtout à avoir des responsabilités”, s’enthousiasme-t-il. Des compétences qui lui ont permis de croire en lui et de rêver à un autre destin que d’être embauché à vie dans le secteur public.

Car la plupart des jeunes Bosniens, encore influencés par l’héritage communiste de la Yougoslavie, aspirent à trouver un poste dans le public, qui ne crée pourtant pas d’emplois. “On les appelle la  ‘lost generation’. Ils attendent une solution de l’Etat, deviennent désespérés et baissent les bras”, explique Timothy Johnson.

HUB387, une organisation financée par la Suède, propose elle aussi une formation complémentaire  et s’escrime à développer le secteur de l’IT. “Nous manquons de gens formés dans ce domaine qui va pourtant exploser et s’imposer dans toutes les industries, de la banque à l’agriculture en passant par les énergies”, anticipe Emir Mulabegovic, chargé de l’incubateur de startups de HUB387. L’organisation propose plus de 64 modules de formation payants, pensés en fonction des besoins des entreprises.

Les startups encore à la traîne

Mais si le chômage est si élevé chez les jeunes, c’est surtout “qu’il y a un manque d’opportunités dans une économie qui a fortement subi la crise en 2008-2009”, explique Ajka Barucic, experte sur les questions d’emploi pour l’institut de jeunesse Kult.
Encore ankylosée par l’héritage du régime socialiste yougoslave, la moitié de l’économie de la Bosnie-Herzégovine est monopolisée par le secteur public. Au moment de la chute de l’URSS, “les pays de l’Europe de l’Est ont réussi leur transition vers une économie de marché alors que la Bosnie-Herzégovine était en guerre et n’a pris le coche”, analyse Timothy Johnson de la Banque mondiale. Après la guerre civile qui a fait plus de 110.000 morts, le PIB du pays s’est effondré de 6 à 1,2 milliards de dollars entre 1989 et 1994. Désormais estimé à 15,9 milliards de dollars en 2015, le pays remonte la pente alors qu’il est candidat à l’entrée dans l’Union européenne.

Place aux jeunes, donc, pour créer leur propre emploi. Pour l’économiste Timothy Johnson, c’est clair : “L’entrepreneuriat est l’une des clés pour résoudre la question du chômage des jeunes Bosniens. Le problème n’est pas qu’ils n’ont pas envie, mais qu’ils ne savent pas faire”.

L’incubateur de startups, Nest71 qui a lancé une première promotion de trois startups cette année, veut y remédier. Les résultats sont déjà encourageants. Balkan Vibe, plateforme en ligne de tourisme dans la région, a déjà permis d’embaucher une petite équipe de cinq personnes. “Notre startup développe aussi des partenariats avec les acteurs traditionnels du tourisme qui pourront bénéficier de l’élan que nous allons donner au secteur”, se félicite son fondateur Emir Mulabegovic, aussi directeur du développement de Nest71.

Mais Nest71, c’est aussi le premier espace de coworking de Sarajevo qui met 60 bureaux à disposition des entrepreneurs afin de développer le climat des affaires. “On a pu créer un réseau professionnel incroyable, auquel nous n’aurions jamais eu accès seuls”, sourit Resac Zacina, fondateur d’une startup qui a dépassé les 30 salariés après un an d’activité.

Développer un meilleur climat économique

Mais entreprendre n’est pas toujours facile en Bosnie-Herzégovine. “Les taxes trop élevées et la bureaucratie trop lourde nous obligent à être extrêmement déterminés et à se battre”, admet Emir.

L’institut de jeunesse Kult a alors proposé au gouvernement un programme pour améliorer l’environnement économique, comme de permettre aux employeurs de ne pas payer les charges sociales des salariés dont c’est le premier emploi. “Nous voulons aussi autoriser les entrepreneurs à verser la taxe sur la valeur ajoutée une fois qu’ils ont été payés par leurs fournisseurs ou clients”, ajoute Ajka Barucic. Mais pour Rejan, la clé reste surtout d’oser…

Les Echos 25/10/2016