Des médicaments innovants aux prix « trop élevés », selon le Conseil économique et social

Le Conseil économique, social et environnemental prône plus de transparence lors de la fixation du coût des médicaments. Les laboratoires sont inquiets.

Cette fois, c’est au Conseil économique, social et environnemental (CESE) d’annoncer ses propositions pour réguler le prix des médicaments innovants. Trois ans après le lancement en France du Sovaldi par le laboratoire américain Gilead, médicament contre l’hépatite C vendu 41 000 euros pour trois mois de traitement, l’assemblée consultative devait remettre, mercredi 25 janvier, son avis sur le « prix et l’accès aux traitements médicamenteux innovants » à la ministre de la santé, Marisol Touraine.

L’avis du CESE, qui résulte d’une autosaisine, tombe en pleine montée du débat sur la santé et son coût. « L’augmentation des prix des médicaments innovants conduit à une hausse prévisible des dépenses de santé, remet en cause leur soutenabilité et soulève le risque de sélection des malades », pointe l’assemblée consultative. « Les prix demandés par les industriels sur certains produits sont trop élevés » et « le régulateur n’a pas les moyens juridiques de limiter les hausses de prix », déplorent les auteurs.

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Aussi, réclament-ils davantage de transparence, prônent-ils l’instauration d’études prospectives sur l’incidence financière des traitements innovants et la représentation « effective » des associations d’usagers et de malades au sein de toutes les instances qui statuent sur l’évaluation et la fixation des prix. « Dans tous les pays où les représentants des usagers siègent dans les conseils de régulation, les prix des médicaments baissent », observe Christian Saout, coauteur de cet avis.

« Arme de destruction massive »

Attendu sur la question de la licence obligatoire, le CESE se contente de souligner la « complexité » de cette procédure qui permet à l’Etat de lever d’office le brevet d’un médicament pour des raisons de santé publique et de faire fabriquer des médicaments génériques, par nature moins chers. Mais il ne préconise pas cette levée du brevet d’office en France que redoutent les fabricants de médicaments brevetés. « Avant d’utiliser cette arme de destruction massive, l’Etat a d’autres recours possibles », fait valoir Christian Saout.

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Malgré la publication de cet avis mesuré, les industriels de la pharmacie s’inquiètent de voir le sujet de la santé publique au cœur de la campagne présidentielle. « C’est une première », estime Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, fédération des industriels de la pharmacie. L’idée du recours à la licence d’office fait partout son chemin. Ce n’est pas pour déplaire à Médecins du monde.

En juin 2016, lors d’une campagne publicitaire choc, l’association avait dénoncé le coût exorbitant des médicaments contre l’hépatite C et le cancer. « Depuis, la question du prix s’est imposée dans l’agenda politique », se félicite Olivier Maguet, responsable de mission au sein de l’association.

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Cela a été l’une des premières questions abordées lors du débat télévisé de la primaire de la gauche, jeudi 19 janvier. Benoît Hamon, candidat sorti en tête du scrutin du dimanche 22 janvier, dénonce les « prix scandaleux demandés par certains industriels ». « Si jamais certains laboratoires refusent d’entendre raison, je n’exclus pas de recourir à la licence d’office », a-t-il promis.

« Des médicaments à nul autre pareil »

Une menace régulièrement brandie par Marisol Touraine, qui juge « urgent » de baisser le prix des traitements contre l’hépatite C. Celle qui a promis l’accès au Sovaldi à tous les malades est en plein affrontement avec son fabricant, Gilead. Depuis le début de l’année, le laboratoire négocie le prix d’Epclusa, troisième génération de ses traitements, après le Sovaldi et le Harvoni, lancés en 2014 et en 2015.

Gilead espère échapper à l’injonction de la ministre de la santé. Le pourra-t-il ? « Le Sovaldi est une cible perpétuelle, un martyre désigné », regrette déjà Michel Joly, président de Gilead en France. Ce ne serait pas justifié, juge le dirigeant. « Les traitements contre l’hépatite C sont des médicaments à nuls autres pareils. Ils guérissent dans plus de 95 % des cas (…). Du jamais-vu depuis la tuberculose. Ils n’ont rien à voir avec d’autres médicaments », estime M. Joly.

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Car, derrière le débat sur le prix du Sovaldi, se dessine celui du coût croissant des traitements contre le cancer, maladie qui concerne trois millions de personnes en France. Parmi les nouveaux anticancéreux prometteurs figure le Keytruda contre le mélanome. Fabriquée par l’américain MSD, cette immunothérapie promet plusieurs années de survie aux malades de ce cancer de la peau. Mais le coût de ce traitement à suivre plusieurs années est compris entre 3 167 euros et 4 751 euros par mois, pour un patient de 50 kilos à 70 kilos, à raison de 2 mg toutes les trois semaines.

Dès lors, déclencher la licence d’office sur le Sovaldi « serait un signal politique fort », juge M. Maguet. Y avoir recours ferait comprendre à tous les industriels que « le prix indécent d’un médicament innovant, ça suffit ».
Le Monde 25/01/2017