L’Irlande abandonne le PIB comme instrument de mesure économique

À l’avenir ce sera le RNB, le revenu national brut, et plus le PIB parasité par Google et Apple.

Voilà qui va faire plaisir aux souverainistes de tout poil: la nation fait son grand retour dans les statistiques économiques. Et ce come-back vient d’Irlande, le pays le plus occidental  de l’Union européenne. D’ici à la fin 2018, Dublin calculera désormais un «revenu national brut» (RNB) pour mesurer les performances de son économie, vient d’annoncer le CSO, l’institut central des statistiques irlandais.

Exit le PIB, ce célèbre inconnu dont tout le monde utilise le sigle sans en connaître toujours la signification. P, pour «produit», c’est-à-dire la production. I, comme «intérieur», ce qui est produit sur le territoire du pays, à l’intérieur de ses frontières. Quant au B, il veut dire «brut», le produit total, y compris le capital productif qui a été consommé dans l’année pour parvenir à cette production de richesse. Il serait certes légitime de défalquer cette consommation capitalistique de la production ; les entreprises privées le font, avec l’amortissement comptable de leurs investissements pour établir leurs résultats, mais ce n’est pas l’habitude des comptables nationaux.

Ce rappel est essentiel pour comprendre pourquoi l’Irlande abandonne le PIB au profit d’un concept, le RNB, qui met l’accent sur la nation – les Irlandais eux-mêmes – et non plus sur le territoire de l’Irlande. Car sur cette île s’activent d’autres gens, les multinationales américaines, dont Google, Apple et les grands noms de l’industrie pharmaceutique. Ils s’y sont domiciliés pour produire et plus encore pour y faire des opérations comptables gigantesques et inversement proportionnelles à la faiblesse de la fiscalité irlandaise.

Dublin a pourtant tout lieu d’être fier de son PIB. Il a établi un record mondial absolu avec un taux de croissance de 26,3 % en 2015. Même le Gosplan de Staline dans ses plus folles tricheries n’y avait songé.

Le petit cordonnier qui aime à compter ses sous

Ce fut une grande rigolade dans la planète des économistes quand ce chiffre a été rendu public le 12 juillet dernier. Paul Krugman, le Prix Nobel d’économie, toujours prêt à tweeter ses bons mots à ses 2,5 millions de followers, a parlé de «leprechaun economics», en référence à ce personnage du folklore irlandais, le petit cordonnier qui aime à compter ses sous. En revanche, les comptables nationaux ont fait grise mine: «Cela risque de décrédibiliser toute la profession», nous a-t-on dit à l’Insee. Tout le monde a admis que de tels chiffres n’avaient aucun sens, sauf qu’ils sont «comptablement vrais». Le gouverneur de la Banque centrale Philip Lane tout particulièrement s’est inquiété que les ratios de dette publique sur PIB, entre autres, perdent toute signification. Il a pris la tête d’une commission de hauts fonctionnaires et d’universitaires pour trouver une solution.

Le gonflement exceptionnel des chiffres de 2015 a été assez facilement identifié: il correspond à des re-domiciliations de multinationales et notamment de leurs actifs incorporels (brevets, marques). Tout cela pour des raisons purement fiscales. Il faut noter que l’année 2015 a comporté énormément d’opérations «à un coup». Il n’en était pas moins temps de bien dissocier ces opérations comptables de l’activité «nationale» des Irlandais personnes physiques et de leurs entreprises, qui eux paient des impôts.

D’où le choix du RNB. Il permettra de mieux cerner la vraie croissance et les comptes publics. Notons que tous les instituts nationaux de statistiques calculent des RNB, parallèlement au PIB, même s’ils n’en font pas la publicité. En France, et contrairement à l’Irlande, le RNB est supérieur de 30 milliards d’euros au PIB selon l’Insee (1,4 % de plus en niveau, pas en taux de croissance!). La raison principale tient aux revenus des Français travailleurs frontaliers dans les pays européens limitrophes.

Le Figaro 08/02/2017