Anne Nivat, reporter d’une France troublée

Livre. L’auteure de « Dans quelle France on vit » a choisi six villes de France (Evreux, Laon, Laval, Montluçon, Lons-le-Saunier et Ajaccio) dans lesquelles elle a séjourné plusieurs semaines chez l’habitant.

Anne Nivat, que l’on connaît comme reporter de guerre, s’est posée cette fois dans un pays en apparence calme, mais profondément troublé : la France. Elle a choisi six villes : Evreux (Eure), Laon (Aisne), Laval (Mayenne), Montluçon (Allier), Lons-Le-Saunier (Jura), Ajaccio (Corse-du-Sud). Toutes, sauf Ajaccio, n’ont pas plus de 50 000 habitants. Elle a passé dans chacune plusieurs semaines, en se faisant héberger, comme toujours.

« En temps de guerre, l’espérance est la paix, écrit Anne Nivat dans son introduction. Mais quand la paix règne depuis longtemps, où trouver l’espérance ? » C’est cette question, souvent sans réponse, qu’elle explore, de rencontre en rencontre, dans ce livre.

A Evreux, la famille tchétchène d’Arsan est bien installée. Le père travaille. Toutefois, il craint « l’amalgame antimusulman ». Aumônier de la maison d’arrêt, le père Berjonneau voit, lui, l’agressivité croissante, la radicalisation qui va avec le sentiment « de ne pas parvenir à prendre sa place dans la société française ». A Evreux, comme ailleurs, des jeunes se convertissent à l’islam. Laura, 28 ans, née dans une famille catholique, explique avec passion que le voile est un signe d’égalité entre les femmes, le droit de ne plus être préoccupée par son apparence physique.

« Même délégitimation de politique »

A Laon, Antoinette, 33 ans, agricultrice, est dans un autre monde. Elle prend la parole dans une réunion organisée par Les Républicains pour dire que les agriculteurs ne sont pas écoutés alors qu’ils ont « plein d’idées », et, surtout, souffrent de n’être perçus que comme « un problème ».

Tous les personnages de ce livre sont intéressants. Qu’ils s’occupent « des cassés de la vie », comme Christiane à Evreux, qu’ils soient chefs d’entreprise en Mayenne – département à faible taux de chômage – ou vendeurs de kebabs à Ajaccio, ils dessinent le portrait d’un pays que ceux qui se considèrent comme les élites négligent.

Partout, la question du vote Front national se pose. Certains le rejettent, affirmant qu’on vote FN quand on ne connaît rien à la politique. D’autres votent FN au premier tour, par colère, pas au second, par peur.

Pas loin de Lons-Le-Saunier, Anne Nivat a rencontré Jean-Pierre Mouget, ancien secrétaire départemental du FN. Lui n’a pas peur des mots : « Le FN est un parti fasciste, sectaire et autoritaire. » Une victoire à la présidentielle de 2017 serait « la mort de la France », car ce parti n’a « aucune solution ».

Le plus inquiétant, dans ce livre, est ce constat d’Anne Nivat : « Quels que soient la ville où je me suis arrêtée, le milieu économique et social dans lequel j’ai enquêté, la même délégitimation du politique m’a frappée : parmi les ouvriers de Montluçon qui peinent à joindre les deux bouts, les chômeurs de longue durée, les restaurateurs de Laon, les jeunes du quartier de l’Empereur, à Ajaccio, ou les patrons de la Mayenne, je me suis heurtée à la même défiance vis-à-vis du politique, insidieuse, profonde, sans retour. »

Dans quelle France on vit, d’Anne Nivat, Fayard, 490 pages, 22 euros.

Le Monde 05/04/2017