L’apprentissage de l’anglais en primaire ne serait pas si efficace

Selon une étude allemande, l’enseignement précoce d’une langue étrangère n’est pas la garantie de compétences linguistiques à long terme.

ÉCOLE Soutenu par les pouvoirs publics dans tous les pays européens – dont la France depuis les années 2000 -, l’apprentissage précoce d’une langue étrangère est beaucoup moins efficace que ce que l’on imagine. « Il est souvent recommandé de commencer des cours de langue étrangère à un âge précoce, même si presque aucune recherche ne soutient ce mythe », souligne Nils Jäkel, de la chaire d’enseignement de l’anglais à la Ruhr-Universität Bochum. Avec son collègue Markus Ritter, il a évalué les données recueillies auprès de 5 130 collégiens allemands entre 2010 et 2014.

L’étude publiée ce mois-ci dans la revue Language Learning va à l’encontre des idées reçues. Elle a évalué les compétences cognitives – maîtrise de la lecture et compréhension – de deux cohortes de collégiens dont l’une a commencé à apprendre l’anglais en début d’école primaire (6-7 ans), l’autre au milieu de l’école primaire (8-9 ans). Si les effets positifs d’un enseignement précoce, en début d’école primaire, étaient bien présents dans les résultats des élèves de classe de sixième, ces effets s’estompent vite au fil du temps et s’inversent.

« Un compromis raisonnable »

Dès la classe de quatrième, les élèves qui ont commencé l’anglais plus tardivement, vers 8 ou 9 ans, surpassent les ­premiers ! Les « retardataires » sont devenus… les meilleurs, avec 17 à 30 points d’avance sur un total d’environ 500 points. À contre-courant de la conviction commune, selon laquelle les jeunes apprenants vont acquérir des avantages linguistiques, « la recherche a constamment montré que les apprenants plus âgés progressent plus rapidement », rappelle l’équipe allemande. « Notre étude a confirmé les résultats d’autres pays, par exemple l’Espagne, qui montrent que les premières années d’anglais avec une ou deux heures par semaine à l’école élémentaire ne sont pas très concluantes en termes de compétences linguistiques à long terme », estime Nils Jäkel. Comment interpréter un tel résultat ? Selon le chercheur, une « immersion profonde serait nécessaire pour obtenir des effets durables ». Au lieu de cela, les enfants ont, en Allemagne comme en France, des leçons qui s’élèvent seulement à 90 minutes par semaine maximum. Autre explication, la démotivation des collégiens qui, après avoir appris l’anglais de façon ludique en primaire via des rimes, chansons et histoires, passent sans transition à des cours centrés sur la grammaire et le vocabulaire. Ils peuvent ne pas avoir été suffisamment sollicités par leurs professeurs, en dépit de leur niveau de départ. « Cette question de la transition entre l’école primaire et le collège constitue un vrai talon d’Achille », estime l’étude.

Il est aussi possible que le potentiel de ces cours précoces n’ait pas été pleinement exploité, car les enseignants ont dû s’adapter en très peu de temps lorsque les leçons en anglais ont été introduites à l’école primaire. Les chercheurs ne remettent toutefois pas en cause le principe des premières leçons d’anglais en tant que telles. Elles contribuent au « multilinguisme européen auquel nous aspirons, car il ouvre la voie à une acquisition de la langue dans les écoles secondaires, explique le chercheur. Elles pourraient contribuer à sensibiliser les enfants à la diversité linguistique et culturelle. Mais il ne faut pas avoir des attentes déraisonnablement élevées ». Aussi propose-t-il « un compromis raisonnable » : une introduction de l’anglais plus tardive, mais avec plus d’heures par semaine pour « une approche globale plus intensive »

Le Figaro 10/05/2017