Il est rentable de construire entre Paris et Lyon une ligne pour le turbotrain confirme un rapport officiel

Il est rentable de construire, entre Paris et Lyon, une voie ferrée nouvelle sur laquelle circuleraient des turbotrains à grande vitesse, concluait un rapport du commissariat général au Plan – dit rapport Coquand, – publié en décembre 1970. Une mise à jour que vient de déposer un groupe de travail présidé par M. Paul Le Vert, et notamment composé d’experts du ministère des transports et du ministère de l’économie et des finances, confirme cette analyse. Retenu dans son principe, le 25 mars 1971. par un conseil interministériel, ce projet a pour mérite, selon les auteurs de l’étude,  » de faciliter le transport collectif des voyageurs entre la région parisienne et le sud-est de la France, de pallier la saturation prochaine de l’axe Paris-Lyon et d’améliorer la situation financière de la S.N.C.F. « .La mise en service de cette ligne en 1980, comme le souhaite la S.N.C.F., implique que  » la déclaration d’utilité publique intervienne en 1974 et par conséquent qu’elle soit lancée au plus tard au début de l’an prochain « . Ce délai sera-t-il tenu ? La société nationale est prête à démarrer immédiatement cette opération. Sur une partie du parcours, les plans ont été faits au 1/5 000e ; partout, les ouvrages de franchissement ont été définis et estimés un à un. Mais le gouvernement reste encore divisé sur l’opportunité d’engager un investissement évalué – hors T.V.A. et aux conditions économiques de janvier 1973, – à 2 564 millions de francs. Aussi, devant ces hésitations, certaines banques proposent-elles de financer ce programme.

Si ce projet de construire une ligne nouvelle à deux voies sur 390 kilomètres aboutit, le turbotrain à grande vitesse (T.G.V.) relierait Paris à Lyon, toutes les trente minutes aux heures creuses, en deux heures seulement, à une vitesse de croisière de 260 kilomètres à l’heure. La majorité des rames continueraient ensuite leur chemin, à allure réduite, vers les Alpes, la Provence et le Languedoc. Marseille serait ainsi à quatre heures quarante-trois de trajet de la capitale.

Compte tenu de la qualité du service ainsi offert,  » il serait sans doute opportun, estime le groupe de travail, de percevoir des suppléments non susceptibles de réductions, ce qui non seulement améliorerait le bénéfice brut de la S.N.C.F. mais encore diminuerait les remboursements sociaux de l’État « . Par exemple, la perception d’un supplément de 9 F en première classe et de 6 F en deuxième classe dégagerait 30,9 millions de francs de recettes en 1980.

En supposant que, dans l’avenir, les barèmes de l’avion et du rail resteront – en francs constants – à leur niveau de juin 1973 et en conservant pour la croissance du trafic ferroviaire l’hypothèse du rapport Coquand, soit un taux d’augmentation annuel d’environ 1,5 % toutes classes confondues, le turbotrain, en 1980, devrait transporter, entre Paris et Lyon, 15,1 millions de voyageurs. Un million de moins si l’on admet que les tarifs d’Air Inter baissent – en francs constants – de 10 % par rapport à 1969. Dans cette derniers hypothèse – dite hypothèse de base – la concurrence du T.G.V. se traduirait, selon M. Le Vert,  » par un manque à gagner de 6 F par passager détourné pour la compagnie intérieure et par une opération blanche pour les aéroports « .

Le groupe de travail évalue le coût annuel d’exploitation – quatre-vingt-huit rames avec une équipe de cinq personnes à bord de chacune d’entre elles – à 453,6 millions de francs. En y ajoutant 12 % de frais généraux et les frais commerciaux estimés à 3,50 F par passager, le prix de revient moyen par voyageur-kilomètre, dans l’hypothèse de base, s’élève à 7,2 centimes. Le montant du bénéfice net actualisé, réalisé par la S.N.C.F. sur une période de vingt ans, varie, selon l’évolution du trafic retenue, de 553 millions de francs à 1 295 millions de francs. Si l’on amortissait les dépenses d’infrastructures sur quarante ans, comme c’est le cas pour les autres projets d’investissements de la société nationale, et non pas sur vingt ans comme le prévoient les experts, l’équilibre financier de la ligne nouvelle serait assuré dès la première année.

Tout électrique

Pour pallier la saturation de l’axe Paris-Lyon, faut-il forcément  » tirer  » une ligne nouvelle de bout en bout ? Le doublement des sections à double voie – 109 kilomètres entre Saint-Florentin et Dijon – serait très coûteux, notamment à cause des tunnels à creuser.  » Il est probable que le chiffre de 600 millions de francs avancé par le rapport Coquand soit largement sous-estimé et que la solution la moins onéreuse serait de bâtir une ligne à quelque distance de l’ancienne « , note le groupe de travail. Mais, quitte à construire une seconde ligne, mieux vaut lui assurer une rentabilité maximale.

En revanche, les auteurs du rapport Le Vert préconisent la mise en service du turbotrain en deux étapes séparées par un ou deux ans ; d’abord sur le tronçon Saint-Floren-tin-Lyon-Part-Dleu, ensuite sur le tronçon Combs-la-Ville-Saint-Floren-tin. Façon d’assurer une  » montée  » progressive du trafic, de roder l’exploitation et d’étaler dans le temps les répercussions de la ligne nouvelle sur le marché des transports.

Convient-il d’électrifier la voie nouvelle 7 Cette variante, qui majorerait de 9 % les investissements globaux, obligerait simplement à remplacer les groupes turboalternateurs des rames par des installations de captation et de transformation du courant. La ligne profiterait ainsi de la baisse probable du prix de l’énergie électrique. Ce mode de traction présenterait, en outre, l’avantage d’être moins polluant et moins bruyant que la propulsion par turbines.  » Il sera toujours temps d’adopter la solution  » tout électrique  » si les études et essais lèvent, d’ici deux ou trois ans, les quelques incertitudes techniques qui subsistent encore à son sujet « , précise M. Le Vert.

D’autres moyens de transport nouveaux peuvent-ils valablement concurrencer le turbotrain ? Une ligne d’aérotrain n’aurait ni le même impact ni la même clientèle, les voyageurs à destination et en provenance de Lyon représentant à peine le cinquième des passagers du T.G.V. En outre, le coût de construction d’une telle ligne serait supérieur, en raison des pénétrations en ville, et le coût d’exploitation des véhicules par voyageur-kilomètre serait nettement plus élevé, même à vitesse égale.  » En définitive, conclut M. Le Vert, la relation Paris-Lyon ne parait pas particulièrement propice à un premier essai d’une ligne de l’Aérotrain.  » Quant aux avions à décollage court,  » il ne semble pas, à [son] avis, qu’ils puissent être techniquement prêts à entrer en service avant 1985. La sensibilité de l’opinion publique au bruit rend, en outre, irréalisable l’installation de plates-formes pour ces appareils à la périphérie immédiate de Paris et de Lyon  »

Les arguments du rapport Le Vert sauront-ils enfin rallier tous ceux qui, à des titres et à des degrés divers, critiquent le projet de la S.N.C.F. et en retardent ainsi la mise en chantier ? M. Valéry Giscard d’Estaing, ministre de l’économie et des finances, exige de la société nationale qu’elle résorbe son déficit et améliore sa gestion avant de lancer un programme aussi ambitieux avec le concours des fonds publics. Pour sa part, M. Olivier Guichard, ministre de l’aménagement du territoire et de l’équipement, estime  » plus important de réaliser la jonction fluviale Rhin-Rhône que de construire la ligne de turbotrain « . M. Robert Poujade, ministre de la protection de la nature et de l’environnement, déçu que Dijon, dont il est maire, soit simplement raccordé par une bretelle de 14 kilomètres à la voie nouvelle, prend ses distances à l’égard d' » une hypothèse de travail tout à fait gratuite « .

De la base au sommet, les cheminots attendent avec impatience que le feu passe au vert. Que ne fait-on pas pour les automobilistes ? La cadence de réalisation des autoroutes s’accélère. Et pour les passagers aériens ? Les aéroports de Roissy-en-France et de Satolas sont en cours de construction ; les compagnies s’équipent d’appareils gros porteurs.

On ferme des gares, on supprime des lignes, on réduit les effectifs. Même si ces mesures ont pour effet d’améliorer à terme la rentabilité de la S.N.C.F., cela fait mauvaise impression sur l’opinion publique et affecte le moral des cheminots. Selon le rapport des experts, la voie nouvelle Paris-Lyon se justifie techniquement et économiquement. Psychologiquement aussi.

 

Le Monde 04/09/1973