Les employeurs des métiers mal-aimés soignent la formation

Agents d’entretien, cuistots, aides à domicile… Chaque année, ces métiers se retrouvent en tête de l’enquête Besoins en main-d’œuvre, réalisée par Pôle emploi et le Crédoc, dont la dernière édition est parue le 16 avril. Malgré le niveau de chômage, un tiers des sociétés interrogées (32,4 %) dans l’enquête BMO2015 disent craindre des difficultés de recrutement. 29 % des salariés dans l’hôtellerie-restauration démissionnent en cours de contrat, constatait Pôle emploi en 2012. Comment les employeurs gèrent cette situation dans la durée ?

Philippe a longtemps travaillé dans les cuisines d’une grande chaîne d’hôtel-restaurant. Il y a connu le meilleur, et surtout le pire : « Mes horaires s’étalaient de 8 h 30 du matin à 23 heures ou minuit, avec une longue coupure dans l’après-midi, se souvient-il. On se prend en plus des coups de gueule et de torchon, le tout pour le smic. » Après quelques années, le cuisinier a finalement laissé tomber sa vocation première pour se reconvertir dans le conseil… en organisation et santé au travail.

Dans l’exercice de son nouveau métier, Philippe a rencontré des employeurs qui, guidés par la nécessité de fidéliser leur personnel, ont cherché à changer la donne. « Les conditions d’emploi semblent s’être améliorées dans l’hôtellerie, du moins dans les grands groupes, estime-t-il. Les femmes de ménage pointent, les horaires sont mieux aménagés. Il y a une gestion des ressources humaines comme dans n’importe quelle entreprise. »

Licence de management par la VAE

Des efforts ont aussi été faits au niveau des géants de la restauration. Afin d’attirer les candidats et de fidéliser ses salariés, McDonald’s a travaillé sur sa politique de ressources humaines et de communication. Depuis dix ans, le groupe multiplie les actions pour améliorer son image sociale auprès des candidats. L’enseigne a lancé il y a peu une nouvelle campagne TV axée sur l’emploi. « Les métiers que l’on propose sont assez peu connus, fait valoir Hubert Mongon, directeur des ressources humaines de McDonald’s France. Il nous a paru important de communiquer sur eux, sur les parcours de formation et les possibilités d’évolution au sein de McDonald’s. »

Chez McDonald’s, plus de 80 % des embauches se font en contrat à durée indéterminée –c’est presque une obligation dans le secteur, comme pour la plupart des métiers en tension. Des aménagements d’horaires sont prévus pour les étudiants. Les salariés ont aussi l’opportunité de transformer leur expérience en diplôme reconnu. Les directeurs de restaurant peuvent obtenir depuis 2004 une licence de management par la VAE (validation des acquis de l’expérience) et les équipiers un diplôme de niveau CAP depuis 2009. Mais le turnover, autour de 70 % dont 40 % d’étudiants, reste élevé.

Dans d’autres secteurs, des petites structures comme les pressings, qui offrent de faibles salaires (de 1 500 à 2 200 euros en fin de carrière) pour un emploi très physique, avec pour seule perspective d’évolution professionnelle l’espoir de s’établir en indépendant, les candidats à l’embauche ne se bousculent pas non plus. « Le brevet professionnel pressing ne forme que douze jeunes par an en Ile-de-France, alors que notre société, à elle seule, aurait besoin de 40 embauches par an », témoigne Nicolas de Bronac, fondateur des pressings Sequoia.

Inadéquation

Les à-côtés du salaire sont diversifiés pour retenir les salariés : tickets-restaurant bien sûr, mais aussi prise en charge totale des frais de transport, et enfin prime à la présence. « Mais ça ne suffit pas », indique Nicolas de Bronac. Le profil des recrues aujourd’hui c’est « toute personne de 18 à 60 ans, sans qualification mais motivée pour apprendre le métier. Ils ne sont pas si nombreux », ajoute-t-il.

Comme McDonald’s, Sequoia a donc décidé de former ses futurs employés et de leur proposer des diplômes qualifiants, en se transformant en centre de formation agréé.

Les difficultés d’embauche ne se concentrent pas uniquement sur les emplois peu qualifiés. Selon l’enquête Besoins en main-d’œuvre, plus d’un employeur sur deux cherchant à recruter un ingénieur, un cadre d’études ou un chef de projet en informatique s’attend à des difficultés. Les sociétés de services en ingénierie informatique (SSII) se plaignent régulièrement d’une pénurie de candidats.

Là encore, l’inadéquation entre l’offre et la demande a renforcé la place de la formation professionnelle dans le management des entreprises. La SSII Proservia a ainsi fait le choix de former elle-même les salariés qu’elle recrute. « On s’engage à embaucher le candidat à l’issue d’une formation de 400 heures », explique Gaël Riou, son directeur des ressources humaines.

Adapté aux seniors

Pour ce faire, Proservia utilise la préparation opérationnelle à l’emploi (POE). Proposé par Pôle emploi, ce dispositif permet aux entreprises de mettre en place une formation de préparation à la prise de poste.

Une bonne affaire pour le recruteur, puisque la POE finance l’essentiel des frais engagés. Mis en place en 2003 chez Proservia, ce dispositif a permis l’embauche de quelque 400 personnes, principalement des jeunes débutants en informatique ou en reconversion professionnelle.

Convaincue par ce dispositif, Proservia l’a depuis adapté à des candidats seniors. Une voie d’avenir ? Selon l’enquête Besoins en main-d’œuvre, plus de 60 % des entreprises considèrent que former elles-mêmes les candidats peut être une solution face aux difficultés de recrutement.

  • Anne Rodier (Le Monde édition du  20/04/2015)