Désordre dans les monnaies

Cet ouvrage collectif présente tout l’intérêt de la variété des points de vue sur un thème qui n’est pas épuisé. C’est un excellent support à la réflexion sur les politiques monétaires. Trop « monétariste »? C’est le biais qu’induit le sujet!

Désordre dans les monnaies
Ouvrage collectif du Cercle Turgot
Editions Eyrolles.

Voulez-vous vous plonger dans les délices de la finance Mondiale ? Voulez-vous vous laisser bercer par les vagues déferlantes des capitaux qui bougent tout autour de la terre, viennent s’affaler sur des économies chancelantes dont ils rongent les bordures ou au contraire, produisent de l’énergie et stimulent la production de biens et de services? Vous ne voulez plus rien ignorer de l’or, du bimétallisme et de la valeur des monnaies ?

« Désordre dans les monnaies » est fait pour vous. Ceci n’est pas une publicité contrairement aux apparences, c’est un constat : ce livre est fait de toute une série de contributions de personnalités du monde de l’économie et de la Banque. C’est à la fois ce qui en fait la richesse et ce qui en gène une lecture suivie.
La richesse parce que les textes, au gré des passions et des compétences des rédacteurs, traitent de l’histoire de la monnaie, ouvrent des débats sur la naissance, la vie et … les difficultés de l’Euro, sur les promesses déçues des DTS et même, sur les nouvelles monnaies que sont les monnaies électroniques et les monnaies cryptées. L’impact de la mondialisation est décrit tant au travers des flux de devises qu’au travers des contraintes de la gestion des monnaies par des banques centrales.
J’ai retrouvé avec plaisir tous les charmes du bimétallisme, des longues discussions sur le rôle de l’or dans le passé (et dans les temps récents). A ce titre, je remercie les auteurs d’avoir eu l’audace de revenir aussi aux idées monétaires du passé. Et je les remercie d’avoir eu ce cri « Crésus, Reviens ! Ils vont nous rendre pauvres! ».

En revanche, j’ai été moins séduit par l’analyse de la relation « économie monétaire, économie réelle ». Si les questions purement monétaires sur la création de la monnaie, sur les flux monétaires internationaux et leur explosion, et sur la demande de capitaux et son internationalisation font l’objet d’analyses passionnantes, les allées-retour entre économies réelles et économie monétaire ne sont pas à mon goût traitées avec les honneurs dues à leur rang. Il est vrai que ce livre s’intitule « Désordres dans les monnaies » et pas « Désordres dans les économies » mais quand même, ici et là on n’arrive pas à éluder que les désordres dans les monnaies ont créé de serieux remous dans les économies réelles.
Les débats actuels sur la portée effective du Quantitative easing montrent à quel point la pensée économique hésite et même patauge pour ce qui touche la transmission d’une décision de politique monétaire aux différents secteurs d’une économie et a fortiori de plusieurs économies, lorsqu’il s’agit de l’Europe. Autant les exposés qui font l’intérêt de « désordres dans les monnaies » sont riches en informations sur la circulation des dettes et des créances, sur les asymétries de la formation des stocks de créances et de la circulation des flux de financement autant l’analyse des corrélations entre monnaies et marchés des biens et des services semblent n’être abordés que secondairement. Elles le sont et on montre justement ce que la crise de l’immobilier espagnole doit au comportement des banques allemandes. On montre bien que les flux d’importations et d’exportations sont nécessairement sous l’influence des variations dans la valeur des monnaies. Mais les auteurs assignés à écrire sur les monnaies et leurs désordres se sont par trop obligés à respecter le cadre imposé. J’ai regretté que le temps de la monnaie ne soit pas davantage étudié en liaison avec les autres temps de l’économie. J’ai regretté que l’impact même des grands bouleversements technologiques actuels sur la monnaie, sa production et sa circulation, ne soient pas davantage traités que dans un seul article sur les monnaies cryptées.
Ces regrets sont-ils logiques ? Non, si on veut bien admette que le livre définissait son sujet précisément et qu’il fallait s’y tenir… mais au passage, il m’a manqué qu’on discute plus longuement de la fameuse Union Latine, union monétaire improbable qui dura près de 70 ans et assembla un nombre impressionnant de pays européens et autres. Oui, si on considère que la monnaie (reprenons ce mot emphatique de Talleyrand) peut-être un Nil qui irrigue quand on a la sagesse de ne pas la produire en excès ce qui finit par en faire un torrent qui détruit.
Peut-être suis-je à l’instant, en train de suggérer au Cercle Turgot un nouveau livre ?

@PASCALORDONNEAU Les Echos (30/04/2015)