Les entreprises américaines se portent au chevet de leurs salariés désargentés

Le bien-être financier des employés est devenu une préoccupation majeure aux Etats-Unis. Les programmes de remise en forme ou pour gérer son argent se multiplient.

Les entreprises américaines ajoutent une case finance à la batterie de programmes «bien-être» de leurs salariés. Elles les aident à gérer leur porte-monnaie pour gagner en productivité. La direction de Meredith Corporation, l’un des géants de la presse magazine aux Etats-Unis, se veut à l’avant-garde des programmes de remise en forme pour ses 3600 employés.

Au début de l’année, elle propose à chaque salarié de faire un check-up. Faites-vous assez de sport? Mangez-vous correctement? Pour Tim O’Neil, le directeur du bien-être en entreprise, la santé de ses troupes est multifacettes. Elle comprend même la santé financière. «Après 2008, quand la bourse a pris un mauvais virage, nous avons constaté que les employés étaient de plus en plus stressés. Il fallait mettre en place un programme pour les aider.»

C’est ainsi qu’ont été lancées en 2010 les premières leçons de bien-être financier pour les salariés de Meredith et leurs familles. Ce sont des réunions en petits groupes, des séminaires en ligne et des sessions enregistrées sur la meilleure façon de gérer son argent. Cette éducation financière commence par le sujet le plus brûlant, pour les baby-boomers: la préparation de la retraite.

On parle aussi de la déclaration d’impôt, de la renégociation des emprunts immobiliers, du financement des études des enfants… Meredith n’est pas la seule entreprise impliquée dans le bien-être financier de ses troupes. Beaucoup d’autres suivent le mouvement: Pepsico, la NASA, l’Université Cornell, la Major League Baseball… Toutes ont mis au point leurs propres programmes financiers. Joe Saari, patron de la société consultante Financial Fitness Group, montre les derniers sondages de la Society for Human Resource Management (SHRM) pour expliquer les besoins en check-up financiers: 38% des employeurs estiment que leurs salariés ont plus de problèmes d’argent qu’avant la grande récession, 57% ont mis en place un dispositif pour les aider, et 21% se déclarent prêts à passer à l’acte dans l’année.

Les raisons de cet intérêt soudain? Les conséquences du stress. Les salariés au portefeuille dégarni, les endettés et les propriétaires angoissés à l’idée de perdre leur maison «sont moins productifs, explique Joe Saari. Ils risquent de tomber malades. Ils sont distraits et plus prompts aux accidents du travail.» Le patron du Financial Fitness Group estime que les personnels stressés consacrent en moyenne vingt heures par mois au règlement de leurs affaires financières.

«Les salariés ont du mal à se concentrer, déclare Jeffrey Pfeffer, professeur de la School of Business de l’Université Stanford. N’ayant pas d’argent de côté, ils refusent de partir en retraite et retardent le renouvellement de la force de travail.» Mais le professeur n’apprécie guère les nouveaux programmes fitness. «Cela ne résout pas vraiment le problème, déclare-t-il. Le vrai problème, c’est qu’ils n’ont pas d’argent à gérer, il faudrait augmenter leur salaire.»

L’argument fait sourire Evan Thoman, qui a supervisé pendant deux ans le bien-être de 255 employés du Charleston Area Medical Center (CAMC) et met en place ce type de services à la NASA, au Centre spatial Johnson au Texas. «Si nous le pouvions, ce serait bien d’augmenter les fiches de paie, reconnaît-il. En attendant, la deuxième meilleure chose à faire, c’est les aider à prendre des décisions financières intelligentes.»

Rich Hunt, qui a réussi à intéresser 30% des 450 salariés de la Major League Baseball, est aussi enthousiaste. «Si nous changeons la vie d’une seule personne, cela en vaut la peine.» Ses convertis ne sont pas les sportifs de haut niveau gagnant 25 millions de dollars (23,38 millions de francs) par an, ce sont les petites mains qui font tourner l’organisation.

Les experts en bien-être financier croient faire beaucoup de bien… pour un petit prix. Meredith Corporation ne dépense que 100 000 dollars par an dans son programme. C’est encore moins pour Rich Hunt. Les rencontres trimestrielles, les points mensuels, la newsletter se font avec l’aide gratuite de l’assureur Metlife, ravi d’éduquer de potentiels clients.

Les plans fitness se révèlent bon marché, et les résultats sont conséquents. 48% des salariés de la Ligue de base-ball avouent avoir changé leurs habitudes financières. Chez Meredith, les changements sont encore plus spectaculaires. En quatre ans, 87% des intéressés ont réduit leurs dettes. La participation aux fonds de retraite est passée de 86% en 2010 à 93% en 2014. Et les nouveaux sages de la finance ne prennent plus de congés maladie.

L’efficacité de ces programmes ne passe d’ailleurs pas inaperçue à l’étranger, surtout dans les pays anglophones (Singapour, Hong­kong, Australie…), souligne James Berkeley, le gérant d’Ellice Consulting à Londres.