Pourquoi croit-on les climato-sceptiques ?

Paris accueillera en décembre 2015 la conférence des Nations unies sur le climat (COP21). Il n’y a guère d’espoir que l’objectif ambitieux affiché – obtenir un accord universel et contraignant afin de lutter contre le réchauffement climatique – soit atteint si les gouvernements ne sont pas fortement poussés dans cette direction par leurs citoyens. Or l’opinion publique n’est, aujourd’hui, guère mobilisée.

Elle est même, pour tout dire, sceptique. Selon un rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), près de 30 % des Français estiment que le réchauffement climatique n’est pas dû aux activités humaines, et 37 % considèrent qu’il s’agit d’un sujet sur lequel les scientifiques sont en désaccord (« Les représentations sociales de l’effet de serre et du réchauffement climatique », décembre 2014). Ce résultat paraît surprenant. En effet, la quasi-totalité des climatologues soutiennent l’existence d’un réchauffement climatique d’origine anthropique, et à ce jour aucun argument permettant de soutenir la thèse inverse n’a résisté à la critique scientifique.

Jesse Shapiro, de l’université Brown (Rhode Island, Etats-Unis), propose une explication à cette étrange dissonance entre croyances collectives et savoir scientifique (« Special Interests and the Media : Theory and an Application to Climate Change », juillet 2014, National Bureau of Economic Research).

L’idée est la suivante : supposons qu’un journaliste doive écrire un article sur le réchauffement climatique. Il va pour cela consulter un expert. Admettons qu’il le choisisse au hasard ; compte tenu du fort consensus scientifique, il est probable qu’il rencontrera un chercheur soutenant la thèse d’un réchauffement anthropique de la planète. Imaginons, maintenant, que notre journaliste soit soucieux d’écrire un article équilibré. Il se tournera alors vers des tenants de la thèse contraire (par exemple, une entreprise pétrolière), en leur demandant de lui indiquer un spécialiste susceptible de soutenir leur point de vue. L’entreprise en question a donc intérêt à s’attacher les services d’un expert prêt à défendre sa vision. Elle mettra en contact ce consultant et le journaliste, qui écrira alors un article « équilibré » présentant les deux positions.

Les sceptiques surreprésentés

Evidemment, cette présentation est un peu caricaturale : les climatosceptiques peuvent fort bien disposer d’une renommée médiatique suffisante pour être interrogés sans avoir besoin d’intermédiaires, et leurs liens avec les intérêts qu’ils servent ne sont pas nécessairement aussi directs et visibles. Mais cela ne change rien au mécanisme sous-jacent. La théorie de Jesse Shapiro prédit que les climatosceptiques sont surreprésentés dans les médias français. C’est bien le cas.

Reiner Grundmann et Mike Scott (université de Nottingham) ont analysé la presse de différents pays entre 2000 et 2010 (« Disputed climate science in the media : Do countries matter ? », Public Understanding of Science, février 2014). Au cours de cette période, 20 % des scientifiques cités sur le réchauffement climatique dans les dix principaux journaux français étaient des climatosceptiques. Ce qui est loin de représenter le très fort consensus au sein de la communauté scientifique.

C’est dans cette perspective que doit être analysé le petit drame qui se joue actuellement à l’Académie des sciences. En prévision de la COP21, l’Académie se prépare à publier un avis sur le réchauffement climatique. On s’attendrait à ce qu’elle rappelle l’importance du réchauffement climatique anthropique. Or, quelques académiciens climatosceptiques – qui ne sont pas précisément reconnus pour leurs travaux scientifiques sur le climat – insistent pour faire valoir leur point de vue.

Ils pourraient ainsi obtenir l’ajout d’une annexe mentionnant leurs réserves. Cela peut paraître dérisoire. Mais, grâce à l’exigence d’équilibre des médias, cela pourrait suffire à vider l’avis de l’Académie de toute sa substance. Et, ainsi, à repousser encore un peu la perspective d’une action efficace contre le réchauffement climatique.

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  • Thibault Gajdos (chercheur au CNRS) Le Monde 28/05/2015