La production de déchets nucléaires devrait tripler d’ici à 2080

La France, deuxième pays dans le monde en nombre de réacteurs nucléaires (58) derrière les Etats-Unis, n’en a pas fini avec ses déchets radioactifs. Et la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique français, de 75 % à 50 % « à l’horizon 2025 », va contribuer fortement à augmenter le nombre de déchets radioactifs, notamment de « très faible activité » (TFA) et « ceux de faible et moyenne activité à vie courte » (FMA-VC).

« Fin 2013, la France comptait 1,46 million de m3 de déchets radioactifs, contre 1,32 million fin 2010, et ce nombre devrait tripler d’ici à 2080 pour atteindre 4,3 millions de m3 de déchets nucléaires », explique Michèle Tallec, responsable du service « inventaire et planification » à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Soit selon elle, l’équivalent de 2 kg par an et par habitant. L’établissement public à caractère industriel et commercial, placé sous la tutelle des ministères de la recherche, de l’industrie et de l’écologie, a publié, jeudi 2 juillet, son « Inventaire national des matières et déchets radioactifs 2015 » (une publication triennale). 1 200 détenteurs et producteurs de déchets, les plus gros comme EDF ou Areva mais aussi des services de médecine nucléaire dans les hôpitaux, sont tenus de déclarer, chaque année, les stocks et l’Andra en fait la synthèse.

60 % des déchets viennent du nucléaire

60 % de ces déchets proviennent du secteur électronucléaire, 27 % de la recherche, 9 % de la défense (démantèlement des sous-marins, porte-avions, armement ou encore matériels pour la vision nocturne), 3 % de l’industrie non nucléaire – par exemple, la fabrication de détecteurs de fumée ou de paratonnerres, les activités liées à la chimie ou la métallurgie qui manipulent des radionucléides – et 1 % du secteur médical.

La grande majorité, 60,4 %, sont des déchets FMA-VC, 30 % des TFA, les déchets de haute activité (HA) ne représentant que 0,2 %, mais 98 % de la radioactivité. Les contraintes du stockage diffèrent évidemment selon la nature des déchets et de leur période d’activité. Le césium-137, qui perd la moitié de sa radioactivité en trente ans, devra être isolé durant 300 ans, là où l’activité du plutonium-139 n’aura baissé de moitié qu’au bout de 25 000 ans de stockage, et après 4,5 milliards d’années pour l’uranium 238. Selon Michèle Tallec, « 90 % des déchets produits en France disposent déjà de sites de stockage, les 10 % restant étant de faible et moyenne activité à vie longue et de haute activité », ceux pour lesquels il faut encore trouver un site.

Les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) devraient être enfouis sur le site de Bure (Meuse), dans le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), mais la demande d’autorisation de l’Andra attend la décision de l’Agence de sûreté nucléaire, qui devrait intervenir en 2017. Sur place, les opposants au projet contestent ce choix, arguant d’un sous-sol « multifracturé et proche d’un secteur sismique ». Regroupés dans le Cedra (Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs), ils dénoncent aussi le « coût faramineux » du projet. « Un enfouissement, s’il se faisait, a été annoncé pour 15 milliards d’euros, puis 25 et enfin 35 milliards d’euros sur cent ans. Et demain ? », écrivent-ils. Plus globalement, le Cedra dénonce une « France nucléaire qui croule sous les déchets de cette industrie dite propre” ».

Saturation des sites de stockage

Autre dossier à régler pour l’Andra : le site d’enfouissement des déchets TFA-VC sis à Morvilliers (Aube) devrait arriver à saturation entre 2020 et 2025. « Il faut trouver des solutions et optimiser la gestion des déchets pour préserver la ressource rare qu’est le stockage », estime Mme Tallec.

L’intérêt de cet inventaire, très détaillé, est la prise en compte des prévisions des producteurs. Ainsi, l’EPR de Flamanville, dans la Manche, qui accumule les incidents dans sa phase de construction, encore loin de produire, est intégré dans les calculs. De même que le démantèlement engagé des réacteurs de l’ancienne filière UNGG (uranium naturel graphite gaz), de Chinon (Indre-et-Loire), de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher) et du Bugey (Ain), dont, précise l’Andra, la dépose des réacteurs ne commencera effectivement qu’à l’horizon 2025.

Deux scénarios sont plus particulièrement étudiés par l’agence nationale, corrélés aux débats sur la transition énergétique : la « poursuite de la production électronucléaire et le maintien de la politique actuelle en matière de traitement de combustibles usés », et le « non-renouvellement » de cette production, prenant en compte une durée stricte de fonctionnement des réacteurs de quarante ans. Dans le premier cas, aucun combustible usé n’est alors stocké directement, explique l’Andra, et « le parc électronucléaire actuel permettra la valorisation de plutonium séparé jusqu’en 2029 ». Au-delà, en fonction du rythme de redéploiement des nouveaux réacteurs, les combustibles usés (UOX, MOX) représenteraient environ 30 000 tML (tonne de métal loud). Le deuxième scénario qui, selon l’Andra, conduirait « à un arrêt anticipé des activités de traitement », pourrait produire, lui, après recyclage de tout le plutonium récupéré sous formes de combustibles MOX, quelque 28 000 tML de combustibles usés.

Les déchets de démantèlement sont pour 80 % des déchets conventionnels, des gravats et des métaux, et pour 20 % des déchets radioactifs. « Ceux-ci sont majoritairement de très faible activité et de faible et moyenne activité à vie courte », avance l’Andra dans son inventaire. Il s’agit des outils et tenues de travail, des effluents qui ont servi aux rinçages, des pièces métalliques provenant des réacteurs eux-mêmes… Aujourd’hui, en France, neuf réacteurs nucléaires sont en cours de démantèlement, ainsi que d’autres installations d’Areva et du CEA.

Le Monde