La loi numérique qui sera étudiée en octobre prochain devrait fixer un cadre aux compléments de revenus réguliers tirés d’une activité collaborative.
Aux États-Unis, 34 % des travailleurs arrondissent leurs fins de mois avec une activité free lance. Ils gagnent en moyenne 650 dollars avec la location d’appartement sur Airbnb ou 250 en cédant quelques babioles sur le site de vente aux enchères eBay, selon une étude KPCB. C’est peu, au regard des 52.000 dollars de revenus annuels moyens, mais c’est un complément de revenus. Sur quels critères sera-t-il considéré comme du travail, avec les règles de droit qui s’y rapportent? La question est cruciale.
En France, faute de statistiques aussi précises, le ministère de l’Économie retient qu’à partir de 500 euros par an tirés d’une activité collaborative, les particuliers «s’impliquent de manière régulière» et qu’au-delà de 1500 à 2000 euros par mois, «ils se professionnalisent».
Le secteur de l’économie collaborative ne peut plus se contenter d’un curseur aussi flou. «Les enjeux en matière de dumping social ou de distorsion de concurrence requièrent un encadrement bien plus sérieux, alerte ainsi Patrick Thiébart, avocat et associé du cabinet Jeantet. Les plateformes collaboratives doivent se montrer extrêmement vigilantes.» En ligne de mire: le risque de requalification en travail déguisé. Au regard de la loi, «lorsque les prestations deviennent récurrentes, elles sont présumées accomplies à but lucratif». Et relèvent alors du Code du travail. Une notion de «récurrence» qui devrait être précisée dans la loi numérique sur laquelle le gouvernement doit plancher en octobre.
Dissimulation d’emploi salarié
Les conséquences tomberont en cascade. En cas de «récurrence», il appartiendra ainsi à la plateforme de vérifier que le prestataire se dote d’un statut légal – travailleur indépendant ou société commerciale. Si le prestataire est salarié, il aura obligation de loyauté envers son employeur: pas question pour lui de lancer une activité qui concurrence son patron, ni d’empiéter sur son temps de travail pour aller repeindre la cuisine de son voisin. Des subtilités juridiques qu’il sera nécessaire de préciser avant que des infractions n’arrivent à la pelle.
Autre risque: la présence d’un prestataire sur une plateforme collaborative peut aussi engendrer un lien de subordination salarié-employeur. Avec tous les risques de dissimulation d’emploi salarié ou de requalification en contrat de travail qui s’ensuivent. «Pour éviter que soit caractérisé un lien de subordination du prestataire à son égard, la plateforme devra s’assurer que le prestataire est libre d’accepter ou non la prestation. Elle se gardera de lui donner des instructions précises et de lui fixer des objectifs et évitera d’exercer tout pouvoir de sanction à l’égard du prestataire», avertit l’avocat. Dans ce cadre, pas facile pour la plateforme de garantir une qualité de service au consommateur auquel elle ponctionne au passage une commission.
L’enjeu juridique est donc de taille. De sa sécurisation dépend la réussite du modèle économique. Pour les entreprises qui en tirent profit comme pour les bonnes volontés, à la base même de cette florissante économie du partage.
Le Figaro 13/07/2015