Transports, tourisme, hébergement, l’économie collaborative est accusée par les professionnels de détruire le marché et l’emploi.
C’est l’hôtel le plus grand de l’Hexagone, avec une capacité d’accueil supérieure à celle du Stade de France. La nuit du 11 juillet, 112.000 voyageurs ont séjourné dans un logement Airbnb. Un record absolu pour le site américain de locations d’appartement entre particuliers. «En juillet, la France a accueilli deux fois plus de voyageurs que l’an dernier», se félicite Nicolas Ferrary, patron d’Airbnb France.
Cette performance, il la doit surtout aux Français. «En juillet 2014, 31 % des voyageurs Airbnb en France étaient français. En juillet 2015, ils sont 44 %!», souligne-t-il. Et la France est leur destination phare (44 % des réservations). Pour les particuliers, c’est une manière d’arrondir leurs fins de mois, voire d’amasser de petits pactoles, mais aussi de vivre autrement.
Le phénomène n’inquiète pas que les hôteliers. Les particuliers font feu de tout bois pour mettre à profit ce qu’ils ont et ce qu’ils savent faire: ils louent ou partagent leur voiture ou leur bateau, mettent leur jardin à disposition des campeurs et proposent à des vacanciers de les accueillir à leur table ou encore de leur faire découvrir leur quartier. Bref, plus besoin de résidence de vacances ou de camping, de location de voiture ou de train, de réservation de restaurant ou de guide pour passer de bonnes vacances. Et encore moins d’agence de voyages. Un ordinateur ou un smartphone suffit!
En juillet, JeLoueMonCampingCar.com a enregistré 300 locations par semaine de camping-cars, fourgons et vans aménagés. C’est deux fois plus que l’an dernier.
«Dans deux-trois ans, on peut penser que Airbnb proposera plus de chambres que toute l’hôtellerie française ! Cela crée une profonde injustice fiscale et réglementaire. Il faut que le gouvernement protège les entreprises»
Créée en 2012, la start-up bordelaise a levé en janvier 550.000 euros auprès d’investisseurs privés, parmi lesquels des pros de cette «économie du partage», entre autres, les fondateurs de BlaBlaCar et celui du site Entreparticuliers.com. «Nous visons 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année, grâce à notre lancement en Espagne, contre 1,8 million en 2014, confie Benoît Panel, cofondateur du site.
Incontournable du covoiturage, BlaBlaCar, fondé en 2006, revendique 20 millions de membres dans 19 pays, et 350 salariés. Son président fondateur, Frédéric Mazzella, s’attend à une hausse de l’activité de 40 %, entre le 15 juin et le 15 septembre.
Aujourd’hui, ses conducteurs sont à 32 % des cadres et à 14 % des étudiants, ce qui était loin d’être le cas au début. Ses utilisateurs, âgés de 29 ans en moyenne en 2010, en ont 34 aujourd’hui.
Cette nouvelle concurrence fait grincer des dents les professionnels du tourisme. «Sous le nom de collaboratif ou de partage, tous ces sites détruisent le marché et l’emploi, assure Roland Héguy, président de l’Umih, premier syndicat d’hôteliers, cafetiers et restaurateurs. Dans deux-trois ans, on peut penser que Airbnb proposera plus de chambres que toute l’hôtellerie française! Cela crée une profonde injustice fiscale et réglementaire. Il faut que le gouvernement protège les entreprises.»
Paris, la ville la plus visitée au monde, cristallise les inquiétudes. Selon François Navarro, directeur général du Comité régional du tourisme (CRT) Paris Île-de-France, 8 % des touristes (français et étrangers) séjournent désormais dans des hébergements non marchands.
Et de son côté, Didier Le Calvez, à la tête du palace parisien Le Bristol, ne décolère pas: «Les hôtels 5 étoiles et les palaces parisiens ont une activité en baisse de 15 % depuis le début de l’année. Airbnb nous a pris 15 % de chiffre d’affaires. C’est une concurrence que je considère comme déloyale. Notre législation ne protège pas l’hôtellerie et nous ne sommes pas entendus des pouvoirs publics.»
En un an, le palace a perdu 50 emplois en CDI (des personnes qui n’ont pas été remplacées) sur 600.
Le Figaro 3/07/2015