Applications mobiles, services, paiement digital : la profession veut garder la main sur son client.
Alors que la consultation des comparateurs de prix sur l’essence monte en flèche pendant les grandes transhumances de l’été, les pétroliers commencent à se préparer à l’arrivée en force du numérique dans la distribution de carburant. Car le secteur n’est pas plus que les autres protégé contre une « ubérisation » de ses activités, autrement dit une évolution de leur modèle économique. « Nous sommes naturellement attentifs à la menace que pourraient représenter de nouveaux concurrents venus du monde de l’Internet », explique Marc Gigon, qui dirige le « digital lab » de la branche marketing-services de Total. Sous l’impulsion de son patron, Philippe Boisseau, la division du groupe français chargée de la distribution de produits pétroliers a créé dès 2012 sa direction numérique, qui emploie aujourd’hui 20 personnes.
Si la menace ne s’est pas matérialisée, elle pourrait prendre plusieurs formes. « Il y a un vrai risque de désintermédiation entre le distributeur de carburant et son client », note Guillaume Bousson, associé chez Eurogroup Consulting. Il existe aujourd’hui de nombreuses applications mobiles combinant comparateurs de prix et géolocalisation, permettant de savoir en temps réel où se trouve la station la moins chère proche de vous. Rien qu’en France, on en compte une bonne dizaine (Essence Free, Gasoil Now, Carbeo…). Mais aucune n’a encore introduit d’offres « push », incitant l’automobiliste à se rendre dans une station-service moyennant une ristourne, par exemple. Notamment parce que, dans les pays développés comme la France, les prix du carburant restent trop serrés pour que des réductions intéressantes soient possibles. Total a développé sa propre application de localisation de stations (37.250 visiteurs uniques en mai), doublée d’un site mobile (70.210 visiteurs uniques).
Les start-up du carburant
Aux Etats-Unis, quelques start-up proposent déjà des services autour du carburant. Filld vient faire le plein de votre véhicule pendant que vous êtes garés, moyennant une commission. MyGallons propose des couvertures contre les hausses de prix : vous prépayez votre carburant et ne l’utilisez que plus tard, lorsque les prix ont monté. « Ces petites sociétés ont des « business models » très différents des nôtres mais elles se placent dans la chaîne de valeur », note Marc Gigon.
D’autres, qui interviennent pour l’instant dans des domaines connexes, pourraient devenir des « tiers de confiance » et empiéter sur l’activité des stations-service. Dans d’autres secteurs, Amazon ou Booking.com ont montré l’exemple. Les pétroliers surveillent du coin de l’oeil les applications de navigation GPS, comme l’israélien Waze (racheté à prix fort par Google), qui connaît un fort succès grâce à ses informations sur les radars ou le trafic en temps réel.
Les distributeurs de carburant regardent aussi de près le développement du paiement électronique. « Le numérique doit nous aider à faciliter le parcours d’achat de nos clients : le paiement fait partie des points de friction identifiés », note Marc Gigon. ExxonMobil a développé un « Speed Pass » qui permet de payer son plein en passant une puce électronique devant un terminal. Murphy USA a lancé aux Etats-Unis un système de prépaiement par SMS qui permet de payer ensuite son plein à la pompe d’un clic. Et Shell s’est associé à PayPal pour tester le paiement par smartphone dans 1.000 stations-service au Royaume-Uni.
Quant à Total, il propose également des systèmes de paiement par mobile en Afrique, où les cartes bancaires sont encore rares, à l’inverse des portables. Le groupe français a aussi pris 10 % du capital de Fivory, qui commence à déployer sa solution de paiement mobile dans l’Hexagone. De quoi rester en alerte sur les révolutions à venir.
Anne Feitz, Les Echos 06/07/2015
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