Thomas, Jennifer, Abou, Thaïs, Kevin, ils ont tous « une vie à deux balles ». Ils appartiennent à une génération où liberté rime avec précarité de l’emploi comme du reste, où à 30 ans « si tu n’as pas eu au moins trois pots de départ, c’est que tes collègues te détestaient vraiment ». Une précarité qui réunit des porteurs de projets, qui « quitte à galérer » ont décidé de « faire le métier qu’ils aiment » : cinéma solaire ambulant, café sauvage, expert du logement collectif, précisément ouvreur de squat à Paris. Ce livre de deux journalistes prend la suite du webdoc réalisé en 2013 par Sophie Brändström, qui a écrit l’ouvrage avec Mathilde Gaudéchoux.
Ce sont des tranches de vie truculentes d’une génération débrouille qui rappellent les initiatives des babas cool des années 1970, qui alors confrontés à l’apparition du chômage de masse provoqué par le choc pétrolier se détournaient du marché du travail traditionnel et partaient sac sur le dos élever des chèvres dans le Larzac : pour être autonome sans revenu, en développant le troc, l’art de la récupération et du faire soi-même.
« Ce qu’on peut choisir »
Les recettes n’ont pas changé : « On se rabat sur de l’ultra-local, sur le présent, sur ce qu’on peut choisir, explique la sociologue Cécile Van de Velde. Ce qui revient à « construire une mini-contre-société face à un horizon incertain », ajoute-t-elle.
Mais dans Ma vie à deux balles. Génération débrouille, les histoires des jeunes vont plus loin que celles de leurs « pères du Larzac », puisque in fine ils réalisent leur projet et donc gagnent leur place dans la société et leur liberté.
Fiches pratiques, meilleures adresses Internet pour échanger services et savoir-faire, astuces de grand-mère sont présentées dans ce livre comme des instruments de l’économie collaborative dont ils se revendiquent : débrouille rime avec réseaux et partage. Pour le sociologue Jean Pralong, interviewé en fin d’ouvrage avec d’autres experts des comportements au travail et de l’innovation sociale, ces jeunes « ne sont pas des victimes. Ils ont choisi d’être indépendants. (…) Ils ont réfléchi à la place qu’ils veulent prendre dans la société. (…) C’est une posture politique. » Ils s’inscrivent « dans un mécanisme économique libéral (…) décalé par rapport au statut de salarié ». Ces jeunes ont fait le pari de la diversification des trajectoires professionnelles et pourraient bien le gagner.
Le Monde 19/08/2015