La rentrée des idées : préoccupations actuelles

La menace climatique vous inquiète ? La montée des inégalités vous rend anxieux ? Les ressorts du djihadisme vous échappent ? Vous ne savez plus quoi penser de la crise de l’école ? Rassurez-vous, dès la fin du mois, les tables des libraires se couvriront d’ouvrages cherchant à vous éclairer. Plus que jamais, les essais reflètent des préoccupations très actuelles.

De cette nuée de parutions, deux ouvrages se détachent, qui marqueront probablement la rentrée : la brillante biographie de Claude Lévi-Strauss, signée de l’historienne Emmanuelle Loyer (Flammarion), et le nouvel opus de Pierre Rosanvallon, Le Bon Gouvernement (Seuil). Consacré aux qualités requises par le pouvoir exécutif, ce volume poursuit et clôt le cycle de réflexion de l’historien sur les mutations de la démocratie contemporaine. L’heure d’un premier -bilan peut donc sonner, entrepris dans l’ouvrage collectif La Démocratie à l’œuvre. Autour de Pierre Rosanvallon (Seuil), sous la direction de Florent Guénard et Sarah Al-Matary. La réflexion sur l’exécutif sera aussi au centre de La Force de gouverner, de l’historien Nicolas Roussellier, en octobre chez Gallimard. La santé de nos démocraties est également au cœur de plusieurs travaux prenant pour thème l’explosion des inégalités. Le sociologue Nicolas Duvoux signe Les Oubliés du rêve américain (PUF), ainsi qu’un  » Que sais-je ?  » sur Les Inégalités sociales. Les philosophes ne sont pas les derniers à s’emparer du sujet, comme le montrent le livre de Catherine Larrère sur Les Inégalités environnementales (PUF) et celui de Patrick Savidan, Voulons-nous vraiment l’égalité ? (Albin Michel). Attention, nous sommes arrivés à La Grande Fracture, martèle l’économiste américain Joseph Stiglitz (Les Liens qui -libèrent).

Il faudra aussi compter avec le nouveau livre d’Alain Touraine (Nous, sujets humains, Seuil) à paraître fin septembre : le sociologue continue d’explorer les nouveaux contours des mouvements d’émancipation. Sur le fonctionnement de nos démocraties, la lecture de La Fabrique du conformisme, de l’économiste Eric Maurin (Seuil) devrait nous apporter un œil neuf. Signalons enfin, à paraître début octobre, la traduction d’un ouvrage de l’anthropologue américain d’inspiration anarchiste David Graeber, Bureaucratie : l’utopie des règles (Les Liens qui libèrent).

Côté école, les sociologues Marie Duru-Bellat et François Dubet détaillent Dix propositions pour changer l’école (Seuil). Chez le même éditeur, deux autres spécialistes, Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, signent un intéressant ouvrage sur l’apprentissage de la lecture, Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique.

L’échelle planétaireBien évidemment, la menace djihadiste pèse sur les esprits et suscite plusieurs publications. Sous la direction de Gérard Chaliand et d’Arnaud Blin, Fayard sort ainsi, fin septembre, une Histoire du terrorisme. De l’Antiquité à Daech. La politiste Riva Kastoryano s’interroge, chez le même éditeur : Que faire des corps de djihadistes ? Le psychiatre Daniel Oppenheim pense aux plus jeunes et signe une Lettre à un adolescent sur le terrorisme (Bayard). Pour mettre en perspective ce nouvel obscurantisme, Jean-Pierre Filiu publie Les Arabes, leur destin et le nôtre (La Découverte), retraçant, depuis l’expédition de Bonaparte, deux siècles d’une histoire partagée. On tirera profit également du cinquième et dernier tome de La Question de la Palestine, d’Henry Laurens, La Paix impossible (Fayard).

Sur le retour du religieux, l’historien Jean Delumeau offre son analyse dans L’Avenir de Dieu (CNRS éditions). Chez Philippe Rey éditeur, le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne signe Ma vie en islam. Enfin, Payot traduit l’ouvrage de l’universitaire britannique Ziauddin Sardar, Une histoire de La  Mecque. Dans un tout autre univers religieux, l’anthropologue Florence Heymann s’intéresse aux milieux ultra-orthodoxes israéliens, dans Les Déserteurs de Dieu (Grasset). Sur la cœxistence des trois religions du Livre dans notre société, le philosophe Pierre Manent publie, en octobre, Situation de la France (Desclée de Brouwer).

Autre sujet de préoccupation qui doit se penser à l’échelle planétaire : le climat. A l’approche de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, à Paris, au mois de décembre (COP21), les PUF publient un impressionnant Dictionnaire de la pensée écologique, sous la direction de Dominique Bourg et d’Alain Papaux. Le philosophe Bruno Latour rassemble huit de ses conférences sur le sujet sous le titre Face à Gaïa (La Découverte). La librairie Vuibert traduit le livre de la journaliste américaine Elizabeth Kolbert, récompensé par le prix Pulitzer, La 6e Extinction. Comment l’homme détruit la vie. La question est avant tout politique, rappellent Fabrice Flipo, Corinne Morel-Darleux et Christian Pilichowski dans L’Ecologie, combien de divisions ? (Le Croquant).

Du côté de l’histoirePour lire notre avenir, l’histoire nous est-elle d’une aide quelconque ? Pas sûr. Marc Ferro retrace tous les moments où nous n’avons rien vu venir dans L’Aveuglement. Une autre histoire de notre monde (Tallandier). Par ailleurs, la discipline continue, comme chaque rentrée, à creuser la veine de l’introspection. Aux PUF, on pourra se reporter au Dictionnaire de l’historien et à l’ouvrage de synthèse Les Historiens français en mouvement, sous la direction de Pascal Cauchy, Claude Gauvard et Jean-François Sirinelli.

Parmi les traductions, on trouvera au rayon histoire, outre le best-seller de Yuval Noah Harari, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité (Albin Michel), une synthèse grand public et de qualité, quelques ouvrages importants : Les Révoltés de l’Amistad, de l’historien américain de la traite négrière Marcus Rediker (Seuil) ; Le Déluge. Un nouvel ordre mondial, du Britannique Adam Tooze (Les Belles Lettres) sur la période 1916-1931 ; 1945. Année zéro, de l’essayiste néerlandais Ian Buruma (Bartillat). Côté classiques, on pourra enfin lire dans son intégralité Les Usages de la coutume. Traditions et résistances populaires en Angleterre, du Britannique Edward P. Thompson (EHESS/Gallimard/Seuil). On remarque aussi cette étonnante apparition : la première traduction, directe et intégrale, du Rapport Khrouchtchev, avec préface de Jean-Jacques Marie (Seuil). Les titres français ne sont pas en reste : dans les programmes apparaissent les noms de jeunes -historiens, comme celui de Romain Bertrand, en octobre, pour Le Long Remords de la conquête. Manille-Mexico-Madrid : l’affaire Diego de Avila (1577-1580) (Seuil).

Commémoration oblige, le Grand Siècle sera à l’honneur, notamment avec un livre de Joël Cornette consacré à La Mort de Louis XIV. Apogée et crépuscule de la royauté (Gallimard), à l’occasion des 300  ans de la disparition du Roi-Soleil. Autre période de l’histoire de France bien traitée : l’Occupation. Michèle Cointet revient sur les Mystères et secrets de l’Occupation (Fayard), tandis que Pascal Ory préface Le Dossier Rebatet (Robert Laffont,  » Bouquins « ), qui contient la première réédition intégrale des Décombres, annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon. Aux Belles Lettres, Odile Roynette signe Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres. Enfin, la réédition, en octobre, de Vichy et les Juifs, de Michael R. Marrus et Robert O. Paxton (Calmann-Lévy), assorti d’une nouvelle préface, fait partie des attentes de la rentrée.

Philosophes et penseursLes philosophes se penchent sur certaines notions trop obscures ou mal traitées : François Noudelmann ouvrira la danse avec Le Génie du mensonge (Max Milo), Dominique Lecourt suivra avec L’Egoïsme (Autrement) alors que La Jalousie, une géométrie du désir, de Jean-Pierre Dupuy (Seuil), paraîtra en octobre, en même temps que l’ouvrage que Michael Fœssel consacre à la consolation (Le Temps de la consolation, Seuil). Chez Gallimard, côté grands classiques, Pierre Bouretz signe un ouvrage sur Maimonide (Les Lumières du Moyen Age). Enfin, signalons la parution importante de textes inédits de Vladimir Jankélévitch sous le titre L’Esprit de résistance (1943-1983) (Albin Michel),en octobre. Notons aussi la traduction du dernier volume du projet  » Homo sacer « , de Giorgio Agamben, L’Usage des corps. Homo sacer, IV, 2 (Seuil).

On nous permettra de glisser ici Sigmund Freud, d’autant plus que Le Seuil publie ses Ecrits littéraires et philosophiques, réunis en  » Opus « , et Robert Laffont, en octobre, un Dictionnaire Freud, sous la direction de Sarah Contou Terquem ( » Bouquins « ). D’une manière générale, c’est une belle rentrée pour la psychanalyse, avec la réédition d’une trilogie de François Roustang sous le titre Jamais contre, d’abord. La présence d’un corps (Odile Jacob), un nouvel ouvrage de Jacques André, Psychanalyse, vie quotidienne (Stock) et un panorama historique d’Isabelle Mons (Femmes de l’âme. Douzes pionnières de la psychanalyse, Payot). Il y a fort à parier que les préoccupations de Roland Gori réunies dans L’Individu ingouvernable (Les Liens qui libèrent) trouveront un écho dans Lieu d’asile, du psychiatre Thierry Najman,  » manifeste pour une autre psychiatrie «  (Odile Jacob).

A ce propos, notons la parution de Michel Foucault à Münsterlingen, qui enquête sur l’importance, pour le philosophe, de sa visite à l’asile psychiatrique suisse, en  1954 (sous la direction de Jean-François Bert et Elisabetta Basso, aux éditions de l’EHESS). Le point d’orgue de l’automne sera du reste l’entrée du même Michel Foucault dans  » La Pléiade « , avec la parution de ses œuvres en deux tomes, en novembre, sous la direction de Frédéric Gros.

Julie Clarini Le Monde 21/08/2015