L’essor des pères « solos »

Le nombre d’hommes à la tête d’une famille monoparentale a plus que doublé depuis 1990. Ils sont désormais 240 000.

FAMILLE Le père est-il devenu une mère comme les autres ? Le nombre d’hommes à la tête d’une famille monoparentale a plus que doublé en vingt et un ans, passant de 100 000 en 1990 à 240 000 en 2011. Un phénomène en plein essor, selon une étude de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) parue le 29 juillet. Car s’ils restent bien moins nombreux que les mères seules, « le nombre de pères isolés augmente plus vite que le nombre de familles monoparentales », relève la Drees. Un phénomène qui s’est amplifié ces dernières années puisque près d’un parent sur cinq entrés dans la monoparentalité en 2010 était un homme. « Cette tendance n’est pas du tout au bout de sa courbe. On se rapproche peu à peu de ce qui se passe en Amérique du Nord », prédit le pédopsychiatre Patrice Huerre, qui leur a con­sacré un ouvrage *.

« C’est comme si j’avais fait un enfant tout seul, décrit avec une pointe d’amusement Stéphane, un graphiste parisien qui s’est retrouvé seul face à un berceau lorsque sa compagne est partie vivre à l’autre bout du monde, quelques mois après la naissance de leur fille. J’ai dû adapter mon emploi du temps, je me levais la nuit pour donner les biberons… Cela suscitait une sympathie teintée de commisération, avec un côté “il est courageux le pauvre” », raconte ce papa qui a attendu plus de deux ans avant de se remettre en couple. Aujourd’hui, ce père qui a vécu une relation « assez fusionnelle » avec sa fille reste « très présent ». « J’ai sans doute surcompensé », dit-il.

Si certains papas sont veufs ou vivent déjà seuls au moment de la naissance, « la plupart d’entre eux(86 %)deviennent pères isolés à la suite d’une séparation avec leur conjointe », note la Drees. Et de souligner le rôle de la loi du 4 mars 2002, qui a institué la coparentalité et la résidence alternée, dans cette évolution.

« La recherche d’égalité croissante entre les hommes et les femmes a contribué à l’augmentation du nombre de pères solos, acquiesce Patrice Huerre. Une femme qui accepte que la garde soit confiée à son ex n’est plus considérée comme une mère indigne. De plus en plus impliqués dans l’éducation, les pères se sentent de leur côté en situation de demander la garde des enfants, ce qui n’était pas imaginable avant. »

« Ces dernières années, les pères qui se séparent demandent, d’une manière générale, à passer plus de temps avec leurs enfants, notamment dans le cadre d’une résidence alternée, mais ce n’est pas non plus un raz-de-marée, nuance une avocate spécialiste de la famille, Stéphanie Travade-Lannoy, du cabinet BWG Associés. Pour les ados, c’est un peu différent. Vers 14 ou 15 ans, certains éprouvent parfois le besoin de voir plus leur père, surtout les garçons, et demandent à vivre principalement avec lui. »

Après plusieurs années de garde une semaine sur deux, Daniel s’est finalement vu confier la résidence principale de sa fille de 13 ans, puis de son fils de 12 ans, à la demande de ces derniers. « J’avais envie de m’occuper d’eux, et je leur ai consacré tout mon temps. Nous avons eu une relation très fusionnelle, puis le temps des crises d’adolescence est arrivé. C’est difficile d’assumer ça seul ! », témoigne ce quinquagénaire, parti vivre en Ariège.

Cuisine, ménage, rendez-vous chez le médecin, emplois du temps surchargés… « Les difficultés des pères solos sont les mêmes que celles des mères seules, souligne Nathalie Guellier, créatrice de Parent-Solo.fr, un site communautaire dédié aux familles monoparentales. Leur situation n’est plus considérée comme exceptionnelle, mais comme ils sont en minorité, on les regarde avec un œil plus attendri. » Ces « papas pionniers » auraient cependant tendance à vouloir être exemplaires, quitte à sacrifier d’autres aspects de leur vie. « Nombre d’entre eux mettent de côté leur vie professionnelle et sentimentale pour se dédier totalement à leurs enfants, comme pour compenser un manque maternel », pointe Patrice Huerre. Ils restent cependant moins longtemps isolés que les mères, indique la Drees. En 2010, les hommes sont sortis deux fois plus souvent que les femmes de la case « famille monoparentale », avec 11 % des pères isolés ayant repris une vie de couple, contre 6 % des mères. 15 % ont un père à leur tête.

Le Figaro 26/08/2015