Biotechnologies médicales, nanoélectronique, santé numérique, objets connectés… En lançant ses 34 plans de bataille pour la « nouvelle France industrielle », le 12 septembre 2013, François Hollande a dévoilé ses cartes pour réindustraliser le pays : la clé de notre avenir se trouverait dans la transformation numérique.
L’équation n’est pourtant pas si simple. C’est ce qui ressort du livre L’emploi est mort, vive le travail !. Et de citer l’étude réalisée par l’institut américain Pew Research qui a demandé à 1 896 experts si « les applications d’intelligence artificielle automatisées et interconnectées et les appareils robotiques [auront] fait disparaître davantage d’emplois qu’ils n’en auront créés d’ici 2025 ». La moitié pense que oui, et l’autre non.
« Le breuvage digital n’est pas la potion magique du druide Panoramix », met en garde l’un des coauteurs Ariel Kyrou. Le rédacteur en chef de Culture Mobile, le site de réflexion d’Orange sur le nouveau monde des télécoms, s’inquiète du « manque de recul des dirigeants politiques vis-à-vis des technologies numériques ». Sur ce point, il se trouve en accord avec son acolyte, le philosophe Bernard Stiegler, directeur depuis 2006 de l’Institut de recherche et d’innovation du centre Pompidou : sans être technophobes, les deux hommes ne croient pas « en la panacée que serait le numérique pour sauver l’emploi ». Dans leur dernier ouvrage, ils se penchent sur l’impact de l’automatisation sur l’emploi. Ce dialogue politique et prospectif reprend, dans un langage moins complexe et plus accessible, la thèse révolutionnaire développée par Bernard Stiegler dans La société automatique : la mort de l’emploi pourrait s’avérer une bonne nouvelle.
Vers la fin de l’emploi prolétarisé ?
En effet, si les nouvelles technologies augmentent nos possibles, elles peuvent aussi les réduire. Mariées aux techniques de profilage publicitaire, elles deviennent des relais de notre soif de consommation. A l’inverse, elles peuvent favoriser le développement de l’économie collaborative. Le travail également possède cette double capacité à nous mécaniser ou à nous enrichir. Pour Bernard Stiegler, l’emploi représente « la facette aveugle et mécanique de nos activités rémunérées, qui se conjugue si aisément avec l’automatisation des esprits ». Plutôt que de s’accrocher à la survie du travail, il propose alors de l’accepter, pour faire renaître le travail véritable. En d’autres termes, il s’agit de « réussir à ébranler les certitudes les mieux implantées dans nos têtes et dans celles de nos décideurs. A la trappe, l’obsession de l’emploi ! »
Problème : « La classe politique ne veut pas admettre que la crise de l’emploi ne fait que débuter. Et qu’il ne sert à rien de s’accrocher à cette vieille lune. » Le philosophe ne propose pas de programme, mais dresse un état des lieux et explore un certain nombre de pistes, comme la généralisation du régime des intermittents du spectacle, ou encore la création d’un revenu contributif, basé sur le revenu minimum mais destiné en même temps à favoriser l’engagement des individus dans les projets collaboratifs. En se penchant sur « l’économie de l’incurie », soumise à la loi de la jungle, ou la destruction créatrice, ce dialogue à quatre mains esquisse les contours non seulement d’un nouveau système économique, mais aussi d’une société différente à construire dans les 25 ans qui viennent.
L’emploi est mort, vive le travail ! Bernard Stiegler, Ariel Kyrou (Ed. Mille et une nuits, 120 pages, 3,50 euros).
Le Monde 26/08/2015