Quatre pistes pour favoriser l’innovation pédagogique

Pourquoi a-t-on le sentiment aujourd’hui que les écoles qui innovent, expérimentent, agissent dans leur coin, isolées, comme à l’abri des regards – ceux des autres enseignants, ceux de l’institution ? Sur quels leviers s’appuyer pour que les « bonnes pratiques » en matière d’évaluation, de personnalisation, de travail collaboratif…, des méthodes connues mais qui peinent à se diffuser, fassent tache d’huile ? Nous avons posé ces questions à quatre observateurs du système éducatif – un historien, Claude Lelièvre, un sociologue, François Dubet, un pédagogue, Philippe Meirieu, un journaliste britannique fin connaisseur de l’enseignement supérieur, Peter Gumbel. S’ils identifient tous, peu ou prou, les mêmes freins propres au système éducatif français – le poids de l’histoire et des traditions scolaires, son fonctionnement centralisé, le mode d’affectation des professeurs qui ne favorise guère la constitution d’équipes homogènes et soudées, l’ambiguïté du ministère de l’éducation sur ces questions… –, s’ils se méfient tous des recettes toutes faites, ils mettent en avant différentes voies pour que s’installe au sein de l’éducation nationale une dynamique plus favorable.

Claude Lelièvre, historien : « Reconnaître l’autonomie pédagogique comme un principe de base du système éducatif »

« Il faut rompre avec l’idée que des standards nationaux sont une condition nécessaire (et a fortiori suffisante !) de l’égalité. Les règles nationales sont très prégnantes en France car le système éducatif – surtout l’enseignement secondaire – s’est construit à partir du Premier Empire de façon très centralisée. Non pas alors en vue de l’égalité mais, comme le disait Napoléon Ier, pour que l’Etat fasse nation. Et nous avons finalement de nombreuses inégalités standardisées de filières, de types d’établissements, d’horaires, de statuts…

L’autonomie pédagogique de l’établissement scolaire (gérée de la façon la plus collective possible) doit être reconnue comme un principe de base du système éducatif. Sans quoi l’innovation est condamnée à rester dans les limites, au mieux, de l’expérimentation ou, le plus souvent, de la dérogation voire de la tolérance, et finalement à la marge du système, voire le fait de marginaux (les dispositions et règles nationales établies, considérées – elles – comme des principes fondamentaux, apparaissant comme des garde-fous incontournables). »

Peter Gumbel, journaliste britannique : « Susciter chez les enseignants une fierté professionnelle aujourd’hui inexistante à un point inquiétant »

Peter Gumbel publie ce mois-ci Ces écoles pas comme les autres. A la rencontre des dissidents de l’éducation (La librairie Vuibère, 249 p., 19,90 euros).

« Il y a en France comme une allergie à la dissidence. L’éducation nationale prétend être en faveur du renouveau mais finit souvent par le réprimer. Il ne faut surtout pas sortir du rang.

En fait, l’innovation et les innovateurs rendent les responsables du ministère totalement schizophrènes. D’un côté, l’administration a commencé à encourager et à promouvoir des approches innovantes. Les nouvelles expériences éducatives sont explicitement les bienvenues aux termes mêmes de la loi. Et il existe, depuis 2010, un “département de la recherche et du développement, de l’innovation et de l’expérimentation”, rattaché à la direction générale de l’enseignement scolaire.

Pourtant, les écoles et les enseignants qui tentent d’affirmer leur différence déclenchent des réactions épidermiques chez les pontes de l’éducation nationale. Comme l’administration centrale a le pouvoir et le devoir d’évaluer tous les établissements, elle se comporte fréquemment comme une puissance dominante qui se sent menacée : plus les approches non conventionnelles ont du succès, plus elles défient le statu quo, et plus l’éducation nationale est tentée de les faire échouer. Quasiment toutes les écoles que j’ai visitées pour mon enquête se plaignent de l’obstructionnisme bureaucratique.

Ce qui est surprenant et réconfortant, c’est qu’un nombre croissant d’enseignants et de directeurs d’établissement essaient de faire les choses différemment – à une plus ou moins grande échelle – en dépit des obstacles bien réels qui sont mis en travers de leur chemin. L’échec de l’éducation nationale est tel – désormais un élève sur quatre décroche avant d’arriver au bout de sa scolarité – que le système dans son intégralité se fragmente. Des enseignants intelligents et énergiques ainsi que d’autres acteurs commencent à prendre les choses en main. Enfin.

Certains obstacles majeurs demandent à être écartés. Par exemple, les établissements qui lancent des expériences innovantes ont besoin d’enseignants impliqués dans leur projet. Il leur faut des chefs d’établissement désireux de former une équipe soudée. Mais, d’après les textes en vigueur, un établissement n’est pas libre de son recrutement sauf à disposer d’une dérogation, et les chefs d’établissement ne peuvent constituer un groupe distinct d’enseignants pour mettre en œuvre une politique qui leur soit propre. Pour que les innovations concrètes soient pérennisées, il importe de revoir les règles de fonctionnement et de redéfinir les rôles et responsabilités de chacun au sein du système.

Mais avant ça, ce sont les mentalités qu’il faut changer. Les enseignants français sont infantilisés au-delà de l’imaginable si on les compare à leurs semblables à l’étranger. Ils n’exercent pas le moindre contrôle sur ce qu’ils enseignent ou sur la manière dont se déroule leur carrière. Et pourtant ce sont eux – et non les fonctionnaires de la rue de Grenelle ou les syndicalistes – qui savent comme les enfants apprennent. Ce sont eux qui sont sur le terrain. Par conséquent, la première étape est de leur donner plus d’autonomie et de responsabilités.

Si on s’intéresse aux pays qui sont parvenus à réformer leur système éducatif, tous ont commencé par améliorer la situation des enseignants, en leur offrant une meilleure formation par exemple, puis en les rendant comptables de leurs résultats.

Pour qu’une réforme fonctionne en France, il faudrait susciter chez les enseignants une fierté professionnelle qui est aujourd’hui inexistante, à un point inquiétant. Pour l’éducation nationale, cela signifierait abandonner le micromanagement quasi militaire qui est le sien.

Au cours des dernières décennies il est devenu évident que ça ne marche tout simplement pas. Tous les enfants ne réagissent pas de la même manière à une même méthode ou à des outils semblables. Ce qu’il faudrait, ce serait une décentralisation massive et concertée tout le long de la chaîne de commandement jusqu’à ceux qui sont en première ligne : les enseignants. Il est également nécessaire de faire preuve de davantage de tolérance envers les écoles qui proposent des méthodes radicalement différentes. La question qu’il faut se poser c’est : est-ce que ça marche ou pas ? Mais pour cela il faudrait revoir complètement les procédures d’inspection. Le rôle du ministère devrait être de fixer des objectifs éducatifs et de gérer le budget, rien d’autre.

En plus d’accorder aux enseignants davantage de responsabilités et d’accroître leur autonomie, il importe de se donner les moyens d’évaluer leurs pratiques. Il y a beaucoup à apprendre en la matière de certains pays. Des recherches remarquables – et totalement ignorées en France – ont été menées sur le sujet par un professeur néo-zélandais, John Hattie. Il a passé des années à analyser toutes les études menées sur l’enseignement aux quatre coins du monde pour identifier ce qui marche le mieux. Et ce n’est qu’un exemple. Il y a là une mine d’informations pour qui veut se donner la peine de les trouver. Les enseignants eux-mêmes devraient être encouragés à s’y intéresser pour qu’enfin l’on puisse réformer l’école française. »

Francois Dubet, sociologue : « Offrir aux établissements un panel de bonnes pratiques »

Francois Dubet publie ce mois-ci Dix propositions pour changer d’école, avec Marie Duru-Bellat (Seuil, 128 p., 14 euros).

« La longue sédimentation des traditions scolaires napoléonienne et républicaine ne pousse guère à l’innovation longtemps perçue comme une rupture de l’unité de l’école. Cette tradition attachée aux programmes, aux méthodes et aux évaluations nationales garantit aussi l’autonomie des enseignants dans leur classe au prix d’une inspection épisodique et un peu rituelle. Enfin, l’innovation est une activité collective supposant une équipe pédagogique homogène et mobilisée, ce qui n’est pas encore un pilier de la culture scolaire française.

En fait, beaucoup d’établissements innovent, souvent parce qu’ils sont dans des situations difficiles, et ils construisent eux-mêmes leurs « bonnes pratiques ». Mais leur efficacité dépend peut-être moins des pratiques pédagogiques elles-mêmes que de la mobilisation des équipes partageant des mêmes objectifs et des mêmes manières de faire. C’est d’abord pour cette raison que les établissements innovants ont souvent de bons résultats et un bon climat scolaire.

L’attitude du ministère de l’éducation nationale est ambivalente : d’un côté il ne cesse d’édicter des normes ; de l’autre, il appelle à l’innovation mais ne la facilite pas toujours. Mais surtout, l’innovation exige des équipes homogènes et mobilisées. Or, le mode d’affectation des enseignants ne tient guère compte des projets des établissements et la formation d’une équipe pédagogique relativement soudée tient souvent du hasard. Le travail collectif pourrait plus résolument faire partie de la formation des maîtres et le ministère devrait offrir un panel de bonnes pratiques dont les établissements pourraient s’inspirer, plutôt que de devoir les « inventer » en ayant chaque fois le sentiment de prendre un risque. »

Philippe Meirieu, professeur en sciences de l’éducation : « La cohérence pédagogique ne peut pas être décrétée, elle doit s’élaborer sur la durée »

Philippe Meirieu publie, en cette rentrée, deux ouvrages : Comment aider nos enfants à réussir. A l’école, dans leur vie, pour le monde, avec Anne Bideault (Bayard, 188 p., 17 euros), et C’est quoi apprendre ? (L’Aube, 94 p., 8, 90 euros). Un ouvrage sur son travail paraît par ailleurs, avec des textes de nombreux auteurs (Antoine Prost, Daniel Hameline, Jean Houssaye, Mireille Cifali, etc.) : Où vont les pédagogues ? Philippe Meirieu et la pédagogie, sous la direction de Jean Rakovitch (Editions ESF, 200 p., 16,90 euros)

« Sur les innovations pédagogiques, “tout a été dit et tout reste à faire” : ce constat amer a été formulé par Michaël Huberman (1940-2001, professeur à Harvard puis à Genève) au début des années 2000… et il reste largement d’actualité. Les principales innovations pédagogiques que nous mettons en œuvre actuellement sont présentes dès la fin du XIXe siècle, et l’on peut en trouver les premières tentatives bien avant, en particulier dès le XVIIIe siècle, chez Pestalozzi (Johann Heinrich Pestalozzi, pédagogue suisse connu pour avoir cherché à appliquer les principes de l’Emile de Rousseau). Elles sont même largement prescrites par le fameux Dictionnaire de pédagogie et d’Instruction publique, de Ferdinand Buisson, dont la publication accompagne la création de l’école de la République : contrairement à la caricature qui en a été faite parfois, ce gigantesque travail n’est pas un manuel de “pédagogie traditionnelle”, mais, tout au contraire, propose, dans nombre de ses articles, de développer les activités scientifiques et artistiques collectives, promeut la méthode inductive à partir de l’observation raisonnée, évoque longuement les moyens de mobiliser l’attention des élèves, etc.

L’Education nouvelle, dont le congrès fondateur se tient en 1921 à Calais, a systématisé tout cela en l’inscrivant dans une doctrine qui n’est pas exempte d’approximations et d’ambiguïtés, mais qui, globalement, s’efforce de mettre en œuvre systématiquement la fameuse formule de Dewey : “Toute leçon doit être une réponse”. Avec une conception qui peut, aujourd’hui, nous apparaître naïve de l’enfant et de son développement, elle préconise de toujours partir du concret pour aller vers l’abstrait, élabore ce que nous nommons aujourd’hui la “pédagogie de projet”, prône la personnalisation des apprentissages et la construction du collectif, le travail de groupe et le tutorat entre élèves ; elle milite aussi pour de petites unités scolaires où des conseils d’élèves qui, réunis régulièrement, permettent la formation aux pratiques démocratiques… Mais, dès son émergence, l’Education nouvelle se retrouve confrontée à une épineuse question : ses promoteurs souhaitent que leurs innovations se diffusent, mais ont toujours peur qu’elles soient dévoyées ; ils aspirent à une forme de généralisation, mais à condition que cela ne passe pas par l’autorité institutionnelle qui pourrait les récupérer et les vider de leur substance “subversive”… C’est une problématique qu’on retrouve aujourd’hui.

Pourtant, l’Education nouvelle a été et reste un mouvement particulièrement fécond en matière d’innovation. Néanmoins, certaines de ses propositions restent, à mes yeux, des “lieux communs”, des consensus de façade, avec, certes, un vrai pouvoir mobilisateur pour les militants pédagogiques mais, en même temps, des malentendus qui ont, tout à la fois, compromis son développement et nourri les attaques de ses adversaires. Quand on veut passer de l’expérimentation isolée à une innovation susceptible d’entraîner l’adhésion et de modifier en profondeur le système, il faut pouvoir la référer à des finalités précises : or, dans l’Education nouvelle, comme souvent chez les innovateurs, le caractère novateur de la méthode l’emporte sur l’examen de ce à quoi elle forme réellement les élèves – de la société que l’on préfigure, du monde que l’on prépare.

Ainsi, les pratiques de groupe peuvent-elles êtres mobilisées par certains dans une perspective “libérale” (mettre les enfants au travail ensemble permet de faire émerger plus vite et facilement les futurs chefs), par d’autres dans une perspective “libertaire” (pour subvertir, par le primat de l’horizontalité des échanges, le pouvoir des dominants). Ou encore dans une perspective “développementale” (le groupe, par la rotation des tâches, permet l’apprentissage de toutes les places, la décentration par rapport à soi-même et l’appropriation des connaissances)…

On pourrait, évidemment, faire la même analyse avec l’individualisation de l’enseignement : il n’a pas du tout le même sens selon que l’on individualise les objectifs en se résignant à la sélection, ou bien que l’on individualise les méthodes pour que tous atteignent les mêmes objectifs. Idem des innovations liées au numérique : selon qu’elle sont utilisées avec le souci de former l’attention et le souci de la vérité ou bien qu’elles se résignent à laisser fonctionner l’immédiateté et la fascination… En réalité, il n’est pas impossible qu’un des freins majeurs à l’innovation pédagogique soit justement ces multiples ambiguïtés que n’abolit pas, miraculeusement, la référence constante – généreuse, mais souvent abstraite – au “respect de l’enfant”…

Quant à la notion de “bonne pratique”, très en vogue aujourd’hui, elle est particulièrement ambiguë : s’agit-il d’attitudes, d’outils, de méthodes, de techniques, de projets afférents aux contenus d’apprentissage ? Et, quand on les regarde de près, on doit se demander quelles configurations pédagogiques, sociales et politiques elles promeuvent. Par ailleurs, la question se pose toujours : ce qui est efficace ici peut-il l’être automatiquement ailleurs ? Ce problème de la transférabilité est complexe : ce qui fonctionne dans une école, à un moment donné, c’est une sorte d’“écosystème apprenant” où l’équilibre entre le maître, les élèves, les outils, les méthodes,mais aussi l’environnement institutionnel, a été construit patiemment.

Tout cela doit être en cohérence et porté par des finalités assumées. Mais cette cohérence ne peut pas être décrétée, elle doit s’élaborer sur la durée. Et, s’il y a des principes qui peuvent être dégagés (construction du cadre, équilibre des ressources et des contraintes, fermeté des consignes, accompagnement personnalisé, structuration du collectif, etc.), ces invariants n’ont pas de “contenus universels”. Autrement dit, ils ne permettent pas de trancher entre le fait de monter une pièce de théâtre sur Galilée, de réaliser la maquette d’une ville romaine ou de se lancer dans la création d’un journal électronique…

C’est pourquoi il est nécessaire, si l’on veut développer une innovation pédagogique qui soit, tout à la fois, un moyen de faire progresser les élèves et de faire avancer le système de distinguer ces invariants (qui relèvent de “techniques” et peuvent se transmettre dans certaines conditions) de ce qui doit être inventé localement en fonction des spécificités, des personnes et des ressources. Cet équilibre est complexe à réaliser et suppose un accompagnement des équipes et une formation dans les établissements par des formateurs eux-mêmes au clair sur tout cela.

Il faut bien garder en tête que les enseignants parlent très peu de leurs pratiques pédagogiques entre eux ; la plupart des concertations sont essentiellement “institutionnelles” et portent sur des problèmes d’organisation. Le face-à-face pédagogique reste du domaine privé dans l’imaginaire collectif enseignant : on ne dévoile ni ses problèmes ni ses solutions aux collègues. L’enseignement est un des métiers où la mutualisation est la plus faible… Et cela constitue une entrave considérable à la véritable innovation.

Par ailleurs, beaucoup de praticiens hésitent à se lancer et de nombreuses innovations s’ensablent vite dès lors qu’ils réalisent qu’il faut boucler le programme et qu’ils prennent des risques avec l’institution… Il faut pourtant relativiser ces inquiétudes : d’abord parce que, comme le dit Bernard Charlot (professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris-8), “toute innovation réussit toujours, car elle mobilise les maîtres et les élèves, crée une dynamique et donne des résultats positifs… même s’ils ne sont pas toujours ceux que l’institution escompte. D’autre part parce qu’on ne doit pas se résigner au paradoxe invraisemblable que cette même institution impose aux “innovateurs” : même si elle les encourage officiellement, elle exige d’eux un engagement et un taux de réussite bien supérieurs à ceux des pratiques ordinaires. Autrement dit, si vous n’innovez pas, on ne vous demande (presque) jamais de comptes ; si vous innovez, vous devez en permanence faire vos preuves.

C’est pourquoi, l’exhortation à l’innovation ne fait pas une politique. Si l’on veut vraiment des innovations qui fassent progresser l’Ecole, il faut que l’institution prenne ses responsabilités. Qu’elle se positionne clairement sur les finalités et ne se contente pas de totémiser des outils. Il faut qu’elle mette en cohérence les systèmes d’évaluation avec les projets qu’elle promeut, car les enseignants mettent toujours en œuvre les pratiques qui permettent de satisfaire les critères institutionnels d’évaluation et, quand on change la nature des évaluations, les pratiques évoluent toujours en conséquence. Une évaluation faisant appel à la recherche documentaire, à la créativité et à l’interdisciplinarité entraînera évidemment des innovations dans ce sens.

Il faut aussi, évidemment, que l’institution accompagne les équipes d’innovateurs, non en plaçant des inspecteurs ou des chercheurs en position de “surplomb” par rapport à elles, mais en faisant jouer la mutualisation exigeante, les interactions entre collègues et établissements, l’engagement des enseignants innovants dans des recherches universitaires, la formation continue en établissement, etc.

Et je crois, enfin, que l’institution devrait identifier des “cadres structurants” favorisant l’innovation et lancer des appels à projets aux volontaires sur cette base : ainsi, par exemple, je suis convaincu qu’un appel à projets pour développer les classes multiâge (ce que je nomme dans mes travaux, les “classes verticales”), aussi bien en primaire qu’au collège et au lycée, serait un moyen particulièrement précieux pour favoriser des initiatives de décloisonnement, développer l’entraide entre élèves et les former à l’autonomie, susciter une utilisation créative du numérique, etc.

Au total, c’est dans la capacité de l’institution à développer des stratégies d’innovation sur des objectifs précis et avec un accompagnement bienveillant et rigoureux à la fois, que me paraît résider la clé du problème. Car, loin d’aller vers la privatisation que certains craignent, l’innovation ainsi conçue renverserait la situation ubuesque et génératrice d’injustices que nous vivons aujourd’hui. En effet, le système scolaire, tel que nous le connaissons, est jacobin sur les modalités et girondin sur les finalités : dès lors que l’on respecte les consignes administratives, on peut se permettre de faire à peu près n’importe quelle politique éducative, ultra-sélective ou démocratisante, sans être interrogé le moins du monde…

Ce dont nous avons besoin, au contraire, c’est d’un système scolaire jacobin sur les finalités – avec un cahier des charges précis définissant ces dernières – et girondin sur les modalités, afin de responsabiliser les acteurs et de permettre à tous les élèves – et non plus seulement à quelques privilégiés – de bénéficier de dynamiques fortes susceptibles de leur permettre de s’engager au mieux dans les apprentissages. »

  • Mattea BattagliaLe Monde 27/08/2015