De l’accueil des réfugiés au logement des sans-abri

L’Etat, les communes, mais aussi les simples citoyens, découvrent, chaque jour, des ressources insoupçonnées permettant l’accueil de réfugiés. Ce sont des bâtiments scolaires, des maisons de retraite, des foyers de jeunes travailleurs ou d’apprentis, tous sous-utilisés, et même, à la stupéfaction générale, près de 80 000 logements HLM vacants : « 30 000 à 40 000 d’entre eux pourraient accueillir des migrants, une fois acquis le statut de réfugié, donc le droit d’être en France, rappelle Frédéric Paul, délégué général de l’Union sociale pour l’habitat, mais puisqu’il n’y a aucune demande pour ces logements, il n’y a aucun coupe-file. »

Loger 30 000 réfugiés semble donc à portée de main. Pourquoi ne pas pousser plus loin la démarche pour les 115 000 personnes qui dorment dans la rue, les 60 000 familles reconnues prioritaires, bénéficiaires du droit au logement opposable ou les 12 000 expulsés manu militari par an ? Les alertes désespérées lancées, cet hiver, par le 115 et le SAMU social, tous deux débordés de demandes d’hébergement et ne pouvant en satisfaire qu’à peine une sur deux, et les appels au secours des gestionnaires des centres d’hébergement saturés, de la Fondation Abbé-Pierre, de Droit au logement (DAL) peuvent enfin trouver une réponse dans la dynamique actuelle. Cela vaudra toujours mieux que louer à grands frais 40 000 chambres d’hôtel, chaque nuit, pour un coût annuel de 400 millions d’euros.

Il était temps de réaliser que l’on peut ainsi pousser les murs, car une forme de découragement avait gagné les militants et bénévoles d’associations submergés par l’ampleur des problèmes et les travailleurs sociaux qui n’ont pas de solution à proposer et dont la mission perd son sens. En janvier, Sophie Chabanel, diplômée d’HEC qui fut salariée durant deux ans au sein d’une association lyonnaise d’insertion des défavorisés par le logement, décrivait, non sans humour, dans un livre-témoignage Le Principe de réalité (éditions Plein Jour), l’énergie sans limite qu’il lui fallait déployer pour décrocher des relogements, tant la complexité des dispositifs est grande pour mieux cacher, sans doute, leur inefficacité : « Je n’imaginais pas que la recherche d’un hébergement à Lyon pour un jeune couple franco-algérien était aussi complexe qu’une fusion-acquisition entre deux géants de l’industrie agro­alimentaire ou la mise en Bourse d’une start-up en pleine récession mondiale », écrivait-elle. Epuisée, découragée, elle a fini par démissionner.

Ne sommes-nous pas déjà accoutumés à l’inaction collective ? Combien de Parisiens font encore attention aux sans-abri croisés chaque jour ? Le nombre de SDF a bondi, en Ile-de-France, de 85 %, entre 2001 et 2011, et leur présence n’étonne ni ne détonne plus dans le paysage urbain. Le Niçois Hubert Jourdan, inlassable défenseur des réfugiés, fondateur de l’association locale Habitat et Citoyenneté, confiait à propos des migrants massés à la frontière italienne, près de Menton, cet été : « Il y a dix ans, quand se présentait le cas d’une famille à la rue, je remuais ciel et terre, je lançais des appels à l’aide sur le réseau Education sans frontières et je recueillais dix offres d’hébergement. Aujourd’hui, silence total, je n’ai aucune réponse ! » Le temps semble loin où Lionel Jospin, candidat à la présidence de la République, promettait, en 2002, « zéro SDF dans les rues », et l’impuissance d’aujourd’hui concourt à une insidieuse dépression française.

Une dynamique collective positive

L’affaire des réfugiés permet à la France et aux Français, stimulés par l’attitude d’ouverture de l’Allemagne, de réaliser qu’ils ont plus de ressources qu’ils ne le croyaient. La mobilisation de l’Etat au plus haut niveau, s’appuyant sur des maires volontaires, se révèle fructueuse, redonne confiance, remet en marche l’imagination et libère l’initiative pour trouver des solutions de relogement pour tous les sans-toit. Sept cents maires de tous bords ont déjà répondu à l’appel, et chaque jour voit affluer de nouvelles propositions, offres, soutiens financiers. D’autres élus, notamment des communes les plus riches, ne l’ont pas encore fait mais se laisseront peut-être convaincre devant la démonstration que le choix de l’accueil crée une dynamique collective positive, qui n’oppose pas les misères les unes aux autres.

Ces nouvelles capacités d’accueil révèlent, en outre, les territoires disposant d’infrastructures sous-utilisées et prêtes à fonctionner de nouveau : casernes, hôpitaux, tribunaux, écoles, bureaux de poste, gares, gendarmeries, perceptions… La révision générale des politiques publiques a, depuis une dizaine d’années, supprimé à la hache des services publics et les emplois qui allaient avec, provoquant aussi une hémorragie dans les entreprises privées, banques, commerces, construction, créant des déserts médicaux, judiciaires, commerciaux, et alimentant un sentiment d’abandon.

C’est dans ces villes petites et moyennes que l’on trouve, notamment, un parc HLM disponible, à des loyers très accessibles, que les bailleurs sociaux envisagent de détruire, au rythme de 9 000 à 16 000 appartements par an, parce qu’il est devenu inutile. L’arrivée de nouvelles populations est peut-être une chance d’inverser la désertification dans ces secteurs, où même des emplois qualifiés ne sont plus pourvus. Parmi les réfugiés, il y a des médecins, des techniciens, des informaticiens, des ingénieurs, des étudiants, mais aussi des maçons et de potentiels créateurs d’entreprise dont pourraient ainsi profiter les quelque 300 petites villes recensées par l’Insee comme étant en décroissance démographique. Le sursaut d’intelligence auquel nous pousse cette vague migratoire inédite incite aussi à une nouvelle vision de la gestion du territoire.

Le Monde 22/09/2015