Le CSA pousse les médias à s’engager sur la diversité

 

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a réuni les dirigeants de chaîne et de radio pour dresser publiquement un état des lieux

 Encore un effort, messieurs les patrons de chaîne  !  « , clame dès qu’elle les reçoit Mémona Hintermann-Afféjee, chargé de la diversité au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Pour les inciter à aller plus loin que des déclarations d’intention, le CSA, sous la houlette de sa conseillère, a organisé, mardi 6  octobre, un colloque sur le thème  »  Audiovisuel  : comment mieux représenter la diversité de notre société  ?  « .  »  Il était essentiel, explique Mémona Hintermann-Afféjee, que toutes ces personnalités qui ont le pouvoir de changer la télévision prennent des engagements publiquement et que les producteurs et réalisateurs nous éclairent sur les difficultés qu’ils rencontrent pour faire avancer cette question essentielle.   »

Riches d’échanges parfois animés et dûment consignés (le colloque fera l’objet d’une publication, manière d’acter les engagements et propositions de chacun, précise Mémona Hinterman-Afféjee), cette rencontre a permis de mettre en évidence deux lignes de fractures. Celle concernant la situation générale dans les médias a été résumée ainsi par le scénariste Frédéric Krivine :  »  Il y a ceux pour qui tout va bien, et ceux qui pensent que ça ne va pas et qu’il faut changer les choses.   »

Sans surprise, se retrouvaient dans la première catégorie les patrons de chaîne et de radio qui dressèrent un bilan plutôt positif de leur action. A l’image de Nicolas de Tavernost, le patron de M6, Jean-Christophe Thiery, président du directoire de Canal+ («   Depuis trente ans, Canal+ a vécu la diversité comme une chance  « )  ; Marie Guillaumond, directrice de la fiction à TF1, énumérant le travail accompli par la Fondation TF1, ou Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, faisant l’éloge de la radio auquel fit écho Alain Weill, président du groupe NextRadio TV  : «   Nous sommes une radio ouverte à tous les Français.  «  Seule la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, ne donna pas dans l’autosatisfaction, concédant que le groupe public  »  n’était pas toujours exemplaire  « . Un mois après sa sortie tonitruante au micro d’Europe 1 ( »  On a une télévision d’hommes blancs de plus de 50 ans, et ça, il va falloir que cela change  « ), Delphine Ernotte a adouci son discours, qu’elle a ponctué d’un  »  il faut passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats  « .

Les statistiques ethniques en débat

Peu convaincus par cet état des lieux, certains ont appelé, comme Pascal Josèphe, membre de l’Observatoire de la diversité, à des mesures cœrcitives pour contraindre les chaînes, comme c’est le cas aux Etats-Unis, en Allemagne, en Australie. Ou encore au Royaume-Uni, ainsi que l’a expliqué Carole Bienaimé-Besse, productrice :  »  D’ici à 2020, 20  % du staff de Channel 4 doit être représentatif de la diversité. Si ce n’est pas rempli, les dirigeants ne toucheront pas leur bonus.   » Des contraintes auxquelles se refuse Nicolas Tavernost ou Frédéric Krivine, mettant en garde sur tout ce qui pourrait braquer les scénaristes et  »  limiter leur discours  « .

Mais le plus grand clivage a porté sur les statistiques ethniques. Rejetées par Denis Olivennes, PDG d’Europe 1 ( »  ce que l’on peut compter, ce sont les émissions confiées à des animateurs issus de la diversité  « ), Marie-Christine Saragosse ( »  j’entends des gens qui veulent compter quelque chose qu’on ne peut pas  « ), elles ont été cependant largement défendues par la sénatrice Esther Benbassa, le socio-démographe Patrick Simon, Bouchra Réjani, directrice de Shine France, ou le président du groupe NextRadio TV, Alain Weill  :  »  Le spectateur, lui, compte, c’est chiffré dans son inconscient.  « 

Côté chiffres, justement, le CSA publiera, lundi 12, les résultats de la vague 2015 du baromètre de la diversité. Il révèle très peu d’évolution dans la représentation des origines à l’antenne. Le taux de personnes perçues comme  »  non blanches   » n’est que de 14  %. Croisé avec les catégories socio-professionnelles (CSP), il est de 17  % pour les CSP–,  de 11  % pour les CSP+, et de 37  % pour les activités marginales ou illégales. Quant à leurs rôles dans les fictions, s’il est de 21  % pour les figurants, il n’est que de 9  % pour les héros. Enfin, le taux de personnes handicapées demeure extrêmement faible avec 0,4  %.

Sans doute faudra-t-il plus d’un colloque pour inverser la tendance.

Le Monde 10-11/10/2015