Si l’Italie peut s’enorgueillir d’un réseau de téléphonie mobile moderne et performant, elle affiche un retard flagrant dans l’Internet à haut débit. Le gouvernement entend y remédier en lançant un ambitieux plan d’investissement en ce domaine.
Pas étonnant que Matteo Renzi soit constamment les yeux rivés sur son téléphone portable pour communiquer à coups de tweets, hashtags et posts Facebook ou Instagram… Comme ses compatriotes, le président du Conseil italien préfère utiliser son smartphone que son ordinateur du palais Chigi pour naviguer plus rapidement sur Internet. Grâce aux nombreux investissements réalisés ces dernières années, la péninsule peut en effet s’enorgueillir d’un réseau de téléphonie mobile moderne et performant. Ce qui n’est pas vraiment le cas de son réseau à haut débit… En ce domaine, l’Italie affiche même un retard préoccupant. Selon la Commission européenne, seuls 21 % des foyers italiens ont accès à l’Internet rapide, et le taux d’utilisation effective d’Internet est de 58 % contre une moyenne de 75 % dans les pays voisins. Un tiers des Italiens n’ont en outre jamais utilisé le Web, contre 18 % en moyenne dans le reste de l’Europe. Ookla, le leader mondial de l’analyse des connexions à haut débit, place l’Italie au même niveau que les pays balkaniques, la Grèce et la Turquie, et en dessous de l’Ukraine, de la Pologne et de la Biélorussie.
L’agenda numérique de l’UE prévoit que la totalité de ses citoyens aient accès à une connexion d’au moins 30 Mb/s d’ici à 2020, et que 85 % d’entre eux puissent bénéficier d’une connexion de 100 Mb/s ou plus. Les marges de progression ou le retard à combler sont énormes selon le point de vue, mais le constat est identique : l’Italie n’a pas encore effectué sa « révolution numérique ». Ce sont pourtant les deux mots clefs du lexique de Matteo Renzi, qui a fait de son « plan d’accès au haut débit » une priorité nationale. 6 milliards d’euros sur cinq ans, dont 2 milliards de fonds européens, pour mettre à jour la péninsule sur le plan technologique. Parallèlement, l’opérateur Telecom Italia prévoit d’investir 10 milliards d’euros sur trois ans (2015-2017) dans les réseaux de nouvelle génération (4G, fibre), dont 3 milliards d’euros sur la seule fibre optique. Un contexte qui n’est pas anodin, à l’heure où Xavier Niel et Vincent Bolloré affichent leurs ambitions dans le paysage italien des télécoms.
Les causes du retard pris par l’Italie dans le domaine du numérique sont à la fois structurelles et culturelles. La distance entre le domicile et le central téléphonique y est l’une des plus basses d’Europe ce qui a permis un fort développement de l’ADSL dont les coûts, mais aussi le débit, étaient réduits. C’était jusqu’à présent suffisant pour consulter ses e-mails et faire quelques simples achats. Pas de quoi inciter les pouvoirs publics à investir dans un réseau de fibre optique. Mais une dimension culturelle explique aussi la faiblesse de la demande. « Avec le Minitel, les Français étaient prédisposés à l’usage d’un ordinateur et d’Internet, explique Carlo-Alberto Carnevale Maffè, professeur de stratégies économiques et financières à l’université Bocconi de Milan. En Italie en revanche, il y a eu une réticence presque intrinsèque pour l’objet même de l’ordinateur, vu comme un « alien ». Ajoutez enfin le fait que sa population est la plus âgée d’Europe. »
Résultat, un quasi-analphabétisme numérique, à la fois cause et conséquence d’une demande anémiée de connexion plus rapide, que des infrastructures presque inexistantes étaient de toute façon incapables d’offrir. Le téléphone portable a donc pour un temps pallié ces carences, mais la donne a changé ces dernières années. Dans la plupart des foyers italiens, la wi-fi n’arrive désormais plus à faire face aux exigences de rapidité des nombreux smartphones, ordinateurs, imprimantes numériques et autres tablettes qui équipent chaque membre de la famille. Au cours du premier semestre 2015 le streaming (audio et vidéo) a connu une croissance de 37 % par rapport à la même période de l’année précédente. Un marché en pleine explosion avec une demande de contenus que plusieurs entreprises sont prêtes à satisfaire, à commencer par Netflix, la plate-forme de télévision par Internet arrivée en Italie le 22 octobre dernier. Sans oublier la croissance de l’Internet des objets, de la télémédecine, de la gestion de l’énergie ou encore des « smart cities » qui figurent parmi les axes de modernisation et de croissance du pays encouragés par le gouvernement. Autant de chantiers incompatibles avec la lenteur des connexions actuelles. « Il y a eu en Italie un surinvestissement sur les machines et les édifices, et un sous-investissement sur les hardware et software, déplore Carlo-Alberto Carnevale Maffè. Mais le moment est propice pour inverser la tendance grâce aux exigences de l’UE, à la volonté du gouvernement et à la pression des usagers et du marché. »
Matteo Renzi veut révolutionner l’Italie et le numérique la rendra, selon lui, « plus rapide, plus agile et moins bureaucratique », avec sa promesse d’une identité numérique pour faciliter les contacts entre les diverses administrations et les citoyens sur le futur portail Login.italia.it. Il l’espère plus riche également avec de nouveaux emplois créés et des points de PIB gagnés. La fibre optique est présentée dans cette perspective comme l’autoroute numérique qui permettra un nouveau miracle économique après celui de l’après-guerre symbolisé par les autoroutes encombrées de voitures Fiat. Celles du haut débit italien ne seront pour l’instant pas embouteillées. Les start-up innovantes sont 2.716 pour toute la péninsule alors que Paris et sa banlieue en comptent 12.000. Peu de véhicules donc, et peu de carburant aussi. 118 millions d’euros ont été investis dans ce domaine par les pouvoirs publics l’an dernier. Matteo Renzi se vante d’avoir remis en marche le moteur de la croissance italienne. Il faut maintenant appuyer sur l’accélérateur.