Quand la « tête de classe » se transforme en « tête de Turc »

La ministre de l’Éducation lance ce jeudi une campagne de lutte contre le harcèlement scolaire dont sont trop souvent victimes les bons élèves.

ÉDUCATION On les qualifie « d’intello », de « têtard à lunettes », « d’autiste », de « fayot » ou plus récemment de « bouffon » et de « boloss », des termes apparus d’abord dans les établissements difficiles (voir ci-dessous).

« Je faisais exprès d’ajouter des fautes dans mes dictées pour ne pas toujours avoir de bonnes notes », a raconté cette jeune femme à l’Association pour la prévention de phénomènes de harcèlement scolaire (APHEE). Victime de ce phénomène, qui fait l’objet ce jeudi d’une « journée nationale » décidée par le ministère de l’Éducation, elle a détaillé en 70 pages ses souffrances liées à son ancien statut de bon élève entre 12 et 15 ans. Marion n’a pas eu cette chance. Cette collégienne de 13 ans s’est suicidée en 2013 après avoir laissé une lettre dénonçant les brimades dont elle était régulièrement la victime. Bonne élève, elle aurait été prise pour cible, a raconté sa mère, car elle était différente. Dans sa classe difficile, l’adolescente réclamait le silence et ne cédait pas non plus aux codes vestimentaires de ses camarades…

Les deux filles premières de sa classe « ne sont pas populaires, parce qu’elles sont trop sérieuses, veulent tout le temps copiner avec les profs, lisent à la récréation, etc. » raconte Jade, 14 ans, scolarisée dans un collège des Yvelines. Son professeur de français explique avoir dû « batailler pour que le reste de la classe cesse de les houspiller » en ce début d’année.

À l’école primaire, le phé­nomène du harcèlement tou­­che 12 % des élèves contre 10 % au collège avant de décroître au lycée (3,4 %). Parmi les différences qui servent le plus fréquemment de prétexte, on trouve le poids, la taille, les particularités physiques, le style vestimentaire, détaille la pédopsychiatre Nicole Catheline dans son livre sur le harcèlement scolaire (PUF. 2015).

La différence, c’est aussi « l’élève studieux dans une classe dissipée ». Les élèves intellectuellement précoces sont « plus facilement pris pour cibles », précise-t-elle. Au collège, « ce lieu où tous les univers sont mélangés, celui de l’élève qui va faire un bac professionnel comme celui qui va atterrir en classe prépa », il est parfois « très difficile pour le bon élève de réussir à mener une scolarité apaisée », explique Bertrand Gardette, conseiller principal d’éducation au lycée La Fayette de Clermont-Ferrand et membre de l’APHEE.

L’adolescent qui se conforme en tout point aux attentes des adultes, concentre ses efforts sur sa scolarité et a peu d’amis, fait figure de victime idéale. « Il ne faut ensuite pas grand-chose pour déclencher le harcèlement, des centres d’intérêt différents, des goûts musicaux décalés », raconte-t-il.

Plus verbal dans les établissements privilégiés, plus physique dans les zones sensibles, ce phénomène du harcèlement existe « partout », affirme Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie, également membre de l’APHEE. Au lycée, heureusement, les esprits s’apaisent parce que les élèves ont mûri. Mais aussi parce que « la sélection est déjà faite ».

10%

du collège sont victimes de harcèlement

Le Figaro 05/11/2015