Selon une enquête menée par le Conseil de l’ordre, ils réclament plus de temps pour soigner leurs patients.
SANTÉ Un cri d’alarme, qui appelle une réforme du système de santé français : telle est la conclusion qui ressort de la vaste consultation menée par le Conseil national de l’ordre des médecins, que Le Figaro dévoile en exclusivité. Premier enseignement de cette enquête à laquelle 35 000 médecins ont répondu ? 55 % d’entre eux se disent pessimistes quant à leur avenir professionnel. Pis, 74 % le sont pour la profession. Il est vrai que 82 % d’entre eux estiment que le système de santé français s’est détérioré ces dix dernières années. Un constat d’ailleurs partagé par 63 % des Français, d’après un sondage réalisé en parallèle. À tel point que quatre sur dix déclarent avoir dû renoncer à se soigner en 2015 pour des raisons financières, et près d’un sur deux faute de rendez-vous.
Autre signe de cette déprime, les médecins ont beau être fiers à 89 % d’appartenir à leur profession, seul un sur deux recommanderait à quelqu’un de s’engager dans le métier. Quant aux Français, même s’ils sont 97 % à juger bonne leur relation avec leur médecin traitant, les deux tiers pensent que les jeunes générations n’ont plus envie d’être médecin. Cette désaffection pour la profession, relevée par l’enquête, est corroborée par les chiffres. La France a perdu 1 712 généralistes libéraux depuis 2013, d’après les statistiques de l’Ordre. Et un quart des jeunes formés en France à la médecine n’exercent pas le métier.
Les points de frustrations des médecins sont nombreux : charge de travail, niveau des rémunérations et équilibre vie privée-vie professionnelle, pour les principaux. Ils sont surtout 97 % à trouver qu’ils subissent trop de contraintes réglementaires, économiques et administratives. De fait, l’Ordre estime qu’un praticien passe désormais en moyenne un tiers de son temps en tâches administratives et réunions. « Laissez-nous le temps de soigner ! », s’exclame ainsi un médecin de Lyon, cité dans l’enquête.
Attachement à la Sécu
Autre point noir, qui n’est pas sans lien avec le précédent : les rapports avec les autorités de santé. « Les ARS (agences régionales de santé) ont une évolution autoritaire avec des démarches coercitives, humiliantes et vexatoires », regrette un médecin de Toulouse. Jusqu’à 93 % des praticiens interrogés estiment ainsi insatisfaisant le pilotage de la santé par les pouvoirs publics. Dans ce contexte, on comprend pourquoi les syndicats de médecins plus contestataires ont fait un bon score aux dernières élections d’octobre.
Le corps médical reste toutefois très attaché à la Sécu. Ainsi, 61 % des praticiens veulent un système piloté par l’État et l’Assurance-maladie, plutôt qu’ouvert aux acteurs privés. La prise de pouvoir par les mutuelles fait même figure d’épouvantail. « Est-ce que les mutuelles vont prendre le pas sur la santé, est-ce que nous deviendrons des pions, des carrossiers au service des mutuelles ? », s’interroge ainsi un médecin de Nancy. C’est d’ailleurs un des arguments des syndicats dans leur combat contre la loi Touraine : la généralisation du tiers payant (dispense d’avance de frais) pourrait donner à terme trop de pouvoirs aux assureurs complémentaires.
Plus qu’un big bang, les médecins demandent unanimement une adaptation du système actuel. Et notamment un « rééquilibrage des pouvoirs » entre eux, l’Assurance-maladie et les pouvoirs publics. 85 % demandent encore à ce que le parcours entre la médecine de ville et l’hôpital soit davantage structuré. Enfin, deux tiers se disent contre une contrainte à l’installation en fonction des besoins territoriaux. Message reçu par le ministère de la Santé qui a seulement mis en place des incitations à visser sa plaque dans les déserts médicaux…
Le Figaro 16/12/15