Quels futurs possibles à l’horizon 2050 ?

L’institut Futuribles présente cette semaine la dernière édition de son rapport « Vigie », qui compile les grandes tendances sociales, économiques et géopolitiques des trois décennies à venir.

Près de 550 pages, plus de 40 auteurs et 150 articles : le rapport « Vigie 2016 », qui sera dévoilé cette semaine par l’institut de prospective Futuribles, constitue une somme considérable. Le but n’est ni de prédire l’avenir ni de mettre l’accent sur les dernières tendances technologiques venues de la Silicon Valley : il est, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, de repérer les « futurs possibles à l’horizon 2030-2050 » dans un grand nombre de domaines, de la géopolitique à l’économie en passant par l’environnement, les sciences ou l’éducation. Pour cela, le rapport se base sur les travaux d’experts français et internationaux, à travers quatre grandes catégories d’évolutions : les tendances lourdes, les émergences, les incertitudes majeures et les ruptures possibles. Première mise à jour complète depuis sa première édition, en 2010, l’ouvrage mêle des évolutions déjà bien documentées et de nombreux « signaux faibles ». Morceaux choisis.

Population en hausse, fécondité en baisse

« La population du monde n’a jamais été aussi nombreuse qu’aujourd’hui, mais elle n’est pas pour autant à la veille de se stabiliser », note le rapport en préambule du chapitre consacré à la démographie. Passée de 2,5 milliards en 1950 à un peu moins de 3 milliards en 1960, la population a augmenté au rythme de 800 millions tous les dix ans, jusqu’à atteindre 7,4 milliards aujourd’hui. Et demain ? Dans un contexte de baisse générale de la fécondité, la principale incertitude viendra du seul continent à l’écart de ce phénomène : l’Afrique. Au niveau mondial, l’indice moyen de fécondité est passé de 3,8 enfants par femme en 1950 à 2,5 en 2010. Mais il est encore supérieur à 5,5 enfants en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Pour espérer stabiliser sa population, selon la variante la plus basse envisagée par l’ONU, l’Afrique devrait diviser par trois la fécondité, un objectif qui semble « très vraisemblablement hors d’atteinte à l’horizon de la fin du siècle pour une Afrique en panne quasi générale de gouvernance », note Alain Parant.

Santé : hausse des coûts et couverture universelle

C’est une tendance de long terme qui ne se limite pas aux pays développés : les dépenses de santé n’ont cessé de croître au cours des cinquante dernières années. Contrairement à une idée reçue, note Louis-Charles Viossat, « le vieillissement de la population n’a représenté jusqu’à présent qu’un facteur modeste (0,5 point sur 4,3 points) de la croissance annuelle ». Ce qui pèse le plus sur les dépenses, ce sont les progrès médicaux, l’essor des nouvelles technologies, et la hausse des prix et services de santé. Sur fond de médecine plus personnalisée et plus prédictive, nul n’envisage une inversion de la courbe : l’OCDE estime que les dépenses pourraient doubler entre 2015 et 2060. A cette date, le secteur de la santé pourrait représenter 14 % du PIB des pays de l’OCDE et 10 % de celui des BRIC. Dans ce contexte, le rapport de Futuribles voit dans « la progression vers une couverture santé universelle » une « tendance lourde de l’organisation des politiques et des systèmes de santé dans le monde », symbolisée par l’Obamacare aux Etats-Unis.

Education : gare à la pénurie d’enseignants

Les nouvelles technologies ne suffiront pas à résoudre le défi mondial de l’éducation. Si le rapport souligne le foisonnement des expériences pédagogiques liées au numérique (MOOC, e-learning…) il y voit surtout un mouvement de « désinsitutionnalisation de l’éducation et de la formation » : l’école, l’université et les centres de formation vont devoir affronter de plus en plus la concurrence d’acteurs privés, et notamment des géants du Web comme Google ou Microsoft. L’étude pointe aussi un risque moins médiatisé : celui d’une pénurie mondiale d’enseignants. « Plus de 27 millions d’enseignants devront être recrutés d’ici à 2030 », écrivent Lorène Prigent et Alain Michel. L’Afrique concentrera les deux tiers des besoins et certains pays européens ne seront pas épargnés – la Norvège, l’Allemagne ou le Danemark ont déjà adopté des mesures pour s’y préparer. L’étude note aussi un besoin d’amélioration qualitative : dans un contexte marqué par une évaluation et une concurrence accrues, où les études comparant les pays et les établissements (Pisa, classement de Shanghai…) ont un énorme retentissement, « l’enjeu de l’amélioration de la qualité des enseignants […] devrait être de plus en plus important au cours des quinze prochaines années ».

Energie : prudence de rigueur et rééquilibrage du mix mondial

En 2015, le secteur de l’énergie a prouvé à quel point il était difficile de se projeter dans l’avenir, avec une chute des prix du pétrole « pour le moins inattendue au regard des prévisions qui avaient été avancées dans les années 2000 », indique Nicolas Mazzuchi. Néanmoins, de grandes tendances semblent encore faire consensus. D’abord, la demande d’énergie va continuer à croître à l’horizon 2030-2050, tirée par la croissance démographique et le développement des pays émergents, même si l’Agence internationale de l’énergie envisage depuis l’an dernier un ralentissement (1,3 % par an jusqu’en 2025, 1 % après). Ensuite, le mix énergétique mondial devrait se rééquilibrer à l’horizon 2040, avec quatre filières d’importance quasiment égale : charbon et pétrole (60 % à eux deux en 2012) devraient nettement reculer (50 % en 2040) au profit du gaz (24 % en 2040 au lieu de 21 % en 2012) et des énergies à faible émission de carbone (26 % en 2040, dont 19 % de renouvelables et 7 % de nucléaire).

Le rapport souligne que les réserves de carburants fossiles restent difficiles à estimer, à la fois pour des raisons techniques et géopolitiques (certains pays producteurs ayant intérêt à sous-estimer ou surestimer leurs réserves), et parce que « de nombreuses incertitudes entourent aussi l’avenir des autres sources d’énergie ».

Agriculture : transition nutritionnelle et menace climatique

« Au cours des cinquante dernières années, la consommation alimentaire moyenne mondiale par personne a augmenté de près d’un cinquième, passant de 2.360 calories par personne et par jour à 2.800 calories aujourd’hui », note Céline Laisney. Elle devrait dépasser le seuil des 3.000 calories entre 2030 et 2050.

Cela s’explique par la « transition nutritionnelle », qui se caractérise par la diminution de la consommation de céréales au profit de produits d’origine animale (produits laitiers, oeufs, viande…) L’accélération de cette tendance dans les pays émergents, associée à l’accroissement de la population, va faire exploser la demande… alors que la population des campagnes devrait continuer à décroître.

Le rapport souligne aussi que le changement climatique, auquel il consacre de nombreuses pages, aura un impact massif sur la production agricole. Il commence déjà à se faire ressentir, avec un effet positif pour les régions situées dans des latitudes élevées, mais négatif ailleurs. Si certaines régions jusqu’ici non cultivables vont le devenir, et si des stratégies d’adaptation sont possibles (diversifier les cultures, décaler le cycle des récoltes…), le rapport souligne le risque d’une chute des rendements agricoles au niveau mondial, notamment en raison de l’accroissement des événements climatiques extrêmes (sécheresses, inondations, canicules, etc.).