Après avoir passé sa vie à étudier les inégalités, Anthony Atkinson, le père académique de Thomas Piketty, écrit un plaidoyer pour apporter des solutions et lutter contre la pauvreté et l’exclusion.
L’économie n’est pas une science dont l’unique objet doit être l’efficacité de la machine à produire des richesses, et les économistes n’ont pas à se consacrer exclusivement à huiler ses rouages. Ils peuvent aussi s’adresser aux citoyens pour prévenir que quelque chose ne tourne pas rond. Thomas Piketty avait pris la plume pour dénoncer la machine à accumuler du patrimoine entre quelques mains. Son inspirateur, son professeur, Anthony Atkinson lui emboîte le pas pour dénoncer les dangers d’une société qui voit se creuser les inégalités. Il rappelle une évidence : il n’y a aucune fatalité à cette situation. Les politiques libérales appliquées au milieu des années 80, dans le sillage de Thatcher et de Reagan, ont provoqué un accroissement des écarts entre riches et pauvres, alors que l’Etat-providence avait permis de les réduire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le constat est important, mais Anthony Atkinson ne s’arrête pas là, et propose aux pays développés 14 propositions pour réduire les inégalités et faire reculer la pauvreté.
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Inégalités, le livre d’Anthony Atkinson paru au Seuil contient une musique qui vient des années 60, quand beaucoup de choses semblaient possibles, quand ouvrir des portes et secouer les idées était aussi un impératif absolu. Devenu septuagénaire, le père académique de Thomas Piketty, sir Tony, professeur d’économie à Oxford, semble revenir au point de départ, en 1965, quand il lit The Poor And The Poorest, un livre signé par deux économistes britanniques, Brian Abel-Smith et Peter Townsend, qui montrent que la pauvreté n’a pas disparu dans un pays développé comme le Royaume-Uni. Le jeune chercheur décide de se consacrer à cette énigme : comment des sociétés riches, opulentes, peuvent-elles accepter la pauvreté et les inégalités de revenus ?
«Engagé». Quand on est économiste de profession dans une institution britannique respectable comme Oxford, on se montre respectueux des règles appliquées à la recherche scientifique. On construit des bases de données, notamment avec les Français Thomas Piketty et Emmanuel Saez, et on travaille dans le silence de son laboratoire.
Et puis, à 70 ans, on se dit qu’il est tant de changer les règles du jeu et de s’engager. Avec Inégalités – sous-titré «ce que l’on peut faire», dans sa version anglaise -, Anthony Atkinson change de rôle et devient prescripteur de solutions. On pourrait parler avec ce livre d’un «économiste engagé», comme on a pu parler d’«écrivains engagés», c’est-à-dire quelqu’un qui met en jeu sa réputation académique au service d’une cause. En l’occurrence, les inégalités ou la lutte contre la pauvreté. Un basculement que souligne l’élève, Thomas Piketty qui signe la préface d’Inégalités dans laquelle il évoque «un livre de combat». Quand le Guardian rend compte de l’ouvrage, il cite John Lennon, qui chantait «vous dites que vous voulez une révolution», et ajoutait «on aimerait tous voir le plan».
Compteurs à zéro. En 450 pages, sans une seule équation, avec quelques graphiques, Anthony Atkinson dresse un bilan d’une grande clarté. Les six causes de l’accroissement des inégalités ne font mystère pour personne : la mondialisation, les changements technologiques, le poids de la finance, la remise en cause du salariat, le déclin des syndicats, la baisse de la pression fiscale.
Mais surtout Anthony Atkinson pointe les responsabilités. De 1945 à 1984, les inégalités dans les pays développés se resserrent, après, elles s’accroissent. Margaret Thatcher et Ronald Reagan, arrivés au pouvoir respectivement en 1979 et 1981, vantent les mérites du libéralisme, les économistes de l’Ecole de Chicago, autour de Milton Friedman, prônent le laisser-faire partout et tout le temps.
Anthony Atkinson remet les compteurs à zéro, et propose de réfléchir autrement en pointant les dangers qui guettent une société écartelée par les inégalités. Il avance un programme en 14 points (lire page 22), qui vont d’une dotation universelle à 18 ans, un revenu universel de base, propose de remettre les syndicats au cœur du jeu quand il est question de concurrence ou quand il faut ouvrir le dossier des hauts salaires.
Inégalités de ANTHONY ATKINSON, Le Seuil, 450 pp., 23 €
Libération 22/01/2016