La compensation écologique fait débat

 

Les experts de la restauration dénoncent le faible bilan du texte de 1976 alors qu’une nouvelle loi renforce les obligations des aménageurs.

Les aménageurs sont vent debout contre la loi sur la biodiversité, qui renforce le principe de la compensation écologique imposant d’éviter au maximum la destruction d’espèces et d’habitats naturels ou, au pire, de compenser les ravages produits. Cela relancera-t-il pour autant cette obligation née de la loi de 1976 ? Pour Laurent Piermont, le PDG d’une filiale de la Caisse des Dépôts (CDC Biodiversité), « très peu de mesures compensatoires ont été mises en oeuvre ». Résultat : « plus d’un million d’hectares ont été artificialisés en France sans mesure de restauration ». Le projet controversé du barrage de Sivens (Tarn) a ainsi mis sur le devant de la scène le rôle des zones humides, difficiles à compenser lorsqu’elles occupent une grande surface. L’économiste Harold Levrel (école AgroParisTech) a qualifié, lui aussi, de « plus que mitigé » le bilan de la compensation. « On manque de règles, associées à des contrôles réguliers et des sanctions possibles », explique ce spécialiste des politiques environnementales. Comment évaluer l’équivalence écologique entre un habitat détruit et un habitat restauré à plusieurs kilomètres ? Comment garantir dans le temps la pérennisation des espaces restaurés ? Quel suivi est fait des actions mises en oeuvre ? « Il n’y a pas de vrais contrôles en aval », déplore Christophe Aubel, de l’ONG Humanité et Biodiversité.

Projets retardés

Un discours qui passe mal auprès des industriels, des constructeurs d’aéroports, voies ferrées, routes, autoroutes… ou autres aménageurs dont les projets sont parfois retardés de plusieurs mois après l’identification d’une ou plusieurs espèce(s) protégée(s). Dans l’Hérault et le Gard, le consortium privé Oc’Via, titulaire du contrat de partenariat pour la réalisation du contournement ferroviaire de Nîmes et Montpellier, a ainsi dû déployer 1.800 hectares (acquisitions ou surfaces conventionnées) pour les seules mesures compensatoires… soit le double du foncier nécessaire à l’infrastructure elle-même. Un chiffre qui a enflé au fil du projet : Oc’Via estimait, il y a deux ans, les mesures compensatoires à 1.500 hectares. Toujours dans l’Hérault, Vinci Autoroutes réalise une nouvelle autoroute au sud de Montpellier, sur 25 km. Les mesures compensatoires se mettent en place, avec la mise en pépinière d’espèces de flore en 2014 puis, en 2015, leur transplantation sur le site des garrigues (60 hectares), à Fabrègues. Selon Salvador Nunez, directeur d’opérations à Montpellier de Vinci Autoroutes, la construction d’autoroutes nouvelles sur des dizaines de kilomètres n’est plus envisageable en France à l’avenir, notamment « du fait des mesures de protection de l’environnement ».

Un sujet « mal compris »

Pour Frédéric Melki, président de la commission environnement et biodiversité de Syntec Ingénierie, « les mesures compensatoires sont l’un des sujets environnementaux les plus mal compris. D’un côté, les aménageurs disent souvent que ça coûte trop cher et, d’un autre côté, les associations écologistes parlent de droit à détruire. » Son entreprise d’ingénierie environnementale, Biotope (Mèze, Hérault, 240 salariés, chiffre d’affaires de 15,8 millions d’euros), pilote ainsi en Afrique un projet de compensation écologique dans quatre pays (Ouganda, Guinée, Mozambique, Madagascar), avec Fondation Biotope, Forest Thumb et WCS. Objectif : « Qu’il y ait une plus juste application du principe pollueur-payeur, auprès des compagnies minières, hydroélectriques. » Le fonds serait abondé par les opérateurs privés, et aiderait les gouvernements à financer la protection de la nature – études d’impact, identification de zones à restaurer, mise en place de démonstrateurs de compensation, inventaires écologiques… Plus qu’en Europe, cette approche y est cruciale : « Sans cet argent, la biodiversité s’effondrera dans ces pays, les Etats africains n’ayant pas les moyens de travailler à la protection et à la conservation de l’environnement », prévient Frédéric Melki

Les Echos 03/02/2016