Chiffres du chômage : comment expliquer l’anomalie statistique de janvier ?

La baisse du chômage en janvier devait être une bonne nouvelle : 27 900 demandeurs d’emploi sans aucune activité (catégorie A) en moins, et une baisse de 0,3 % des personnes inscrites en catégorie A, B et C. Mais des anomalies statistiques ont terni la satisfaction du gouvernement, en entachant d’incertitude les chiffres rendus publics jeudi 25 février.

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La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a appelé à la prudence, en raison d’un « rebond inhabituellement fort » de la « cessation d’inscription pour défaut d’actualisation » : 238 900 personnes sont concernées en janvier, soit 40 000 de plus qu’en décembre. Or, lorsqu’un chômeur n’avertit pas Pôle emploi de sa situation durant le mois, il est automatiquement radié des listes, ce qui amplifie la baisse des chiffres du chômage.

« Aucune problématique technique »

Cette variation étonnante rappelle celle d’août 2013 : 50 000 personnes avaient été désinscrites par défaut d’actualisation, à la suite d’un « bug » dans les SMS de relance des chômeurs, attribué à l’opérateur SFR. Mais cette fois, un tel scénario, basé sur une erreur technique, a été écarté. « Les chiffres sont honnêtes et corrects, il n’y a aucun bug », a assuré la ministre du travail, Myriam El Khomri.

La direction de Pôle emploi confirme que des vérifications ont été effectuées : l’accessibilité de la plate-forme d’actualisation, le nombre de connexions par jour et le système de relance (courriel, SMS ou courrier) n’ont montré « aucune problématique technique ni manuelle ».

L’organisme, qui se base sur les déclarations des demandeurs d’emploi (sans activité, en formation, reprise partielle…), est cette fois dans le brouillard. « Par définition, ceux qui ne s’actualisent pas ne donnent aucune explication. »

Le « tout Internet » remis en cause

Tout en se réjouissant d’« une vraie baisse du chômage », Jean-Charles Steyger, responsable SNU-FSU, avance de son côté plusieurs pistes. Le syndicaliste déplore d’abord la fermeture au public des agences l’après-midi, généralisée au 1er janvier, afin de privilégier les entretiens sur rendez-vous : « Aujourd’hui, 22 % des chômeurs n’ont pas accès à Internet. En n’ouvrant que 17 heures par semaine au lieu de 35 heures, on empêche les moins bien lotis de faire leur actualisation à l’agence. »

Cette dématérialisation, qui a constitué un progrès par rapport à l’ancien système de pointage à l’agence ou d’envoi papier, semble atteindre ses limites, comme le note aussi Fabien Milon, de Force ouvrière : « On a pour consigne de renvoyer les gens devant les machines, mais cela arrive fréquemment qu’ils ne comprennent pas bien, et soient radiés pour de fausses manipulations. »

Moins de temps pour actualiser sa situation

Autre piste évoquée par Jean-Charles Steyger : la modification de la date limite d’actualisation. Pour 2016, elle est fixée au 15 de chaque mois, alors que cette date fluctuait auparavant, parfois jusqu’au 20, « soit cinq jours de plus », ce qui a pu déstabiliser les retardataires, en particulier ceux qui sont en activité ou en formation.

Par ailleurs, certains agents ont noté des problèmes sur le réseau de Pôle emploi, « sous-dimensionné » face au flux énorme d’e-mails et de données à traiter.

La quatrième explication avancée concerne une autre nouveauté mise en place par Pôle emploi depuis novembre : le contrôle généralisé des chômeurs, par des agents qui vérifient les démarches de recherche effective des personnes inscrites afin de procéder éventuellement à des sanctions. « Ce travail n’aboutirait-il pas à convaincre certains chômeurs de se désinscrire en ne se réactualisant pas ? », s’interroge Jean-Charles Steyger, qui craint un « nettoyage de fichiers ».

La direction de Pôle emploi ne semble pas convaincue par ces arguments, et espère plutôt qu’une majorité de ces personnes ont retrouvé du travail. Des enquêtes trimestrielles, réalisées auprès des sortants, indiquent que les chômeurs qui reprennent le travail oublient parfois d’en informer l’organisme, surtout s’ils ne bénéficient plus d’indemnités.

Une chose est sûre : les chiffres de février seront scrutés avec attention, pour voir si les « désinscrits » réapparaissent ou non dans les statistiques.

Le Monde 25/02/2016