Encore embryonnaire, le marché des drones professionnels devrait être multiplié par plus de 10 d’ici à 2020. Les applications de captation et d’exploitation de données vont devenir majoritaires.
A quoi ressemblera le marché des drones civils à l’horizon 2020 ou 2025 ? Si la vision futuriste de drones de livraison remplaçant les coursiers a frappé les esprits, le cabinet Oliver Wyman, qui vient de réaliser une vaste étude prospective sur ce thème, a préféré écarter ce scénario (lire encadré ci-dessous). Pour autant, le secteur des drones non militaires devrait connaître une profonde mutation. Si les produits destinés aux loisirs devraient continuer leur progression, pour atteindre 2,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial en 2020, ils devraient être largement dépassés par les modèles professionnels, estimés eux à plus de 4 milliards d’euros. Et les activités de service, encore peu développées, représenteront la moitié de ce montant. « A mesure que le marché des drones civils mûrit, cela devient un marché de services. A terme, ce sera même un marché de données », estime Guillaume Thibault, associé du cabinet Oliver Wyman et auteur de l’étude.
Fin 2013, l’annonce d’un service de livraison par drone émanant du géant mondial Amazon avait créé le buzz sur Internet. Depuis, le groupe de Jeff Bezos et plusieurs acteurs de la logistique ont annoncé des expérimentations et réalisé des vidéos souvent spectaculaires. Pourtant, dans leur étude sur les drones à l’horizon de 2020-2025, les analystes d’Oliver Wyman n’ont pas intégré ce scénario. Il faut dire que les obstacles sont multiples. Il y a d’abord le rapport entre le poids du drone et la charge qu’il peut transporter, qui est de 1 à 5 dans le meilleur des cas : pour livrer un colis de 2 kilos, il faut donc un drone de 10 kilos. Il y a ensuite un problème de réglementation : il faudra sans doute des années avant que les drones soient autorisés à survoler des habitations. Il y a enfin des verrous techniques, car les technologies de vol autonome (sans opérateur humain) et d’évitement d’obstacle devront encore progresser. Sans même parler de l’autonomie…
Depuis trois ans, le secteur des services a été marqué par la progression des applications liées aux médias, comme les tournages de fictions et de reportages. Mais ce domaine n’est plus appelé à se développer, de plus en plus de drones de loisirs permettant de se passer de réalisateurs professionnels. « Les applications de prise de vues sont déjà quasiment à maturité, affirme Guillaume Thibault. A l’avenir, la valeur qui est aujourd’hui dans la production et l’exploitation de drones va migrer vers des applications plus complexes et des capacités d’analyse plus sophistiquées. »
Selon l’étude, le drone sera de plus en plus utilisé comme un outil de numérisation rapide et efficace, grâce au développement et à l’intégration de différents types de capteurs : lidar (télédétection par laser) pour la modélisation 3D ou la topographie, terahertz (ondes électromagnétiques) pour l’inspection d’ouvrages, multispectral ou hyperspectral pour l’agriculture, infrarouge thermique pour l’analyse des bâtiments… Autant d’informations qui seront ensuite intégrées à des bases de données et analysées avec des techniques issues du Big Data, par exemple pour établir des modèles prédictifs ou des outils d’aide à la décision.
« Better data, better decisions »
Aux Etats-Unis, la start-up Kespry a ainsi développé un service permettant aux exploitants de carrières de surveiller l’état de leurs stocks grâce à des drones automatisés surveillant les sites pour les modéliser en 3D. Dans les heures qui suivent l’intervention, l’exploitant reçoit les estimations de tonnage précises de la carrière. Redbird, start-up française qui développe des algorithmes de traitement des données issues de drones civils, s’est alliée au fabricant d’engins de chantier Caterpillar et a pris pour slogan « Better data, better decisions » pour s’implanter aux Etats-Unis.
En France, la division drones de SNCF Réseau, qui compte 17 personnes, utilise 8 appareils. Employés au départ pour surveiller les voies et empêcher les vols de métaux, ils sont de plus en plus utilisés pour modéliser des portions du réseau, que ce soit pour la maintenance ou en prévision de travaux. « C’est devenu un métier de données, explique Nicolas Pollet, responsable du pôle drones de SNCF Réseau. Aujourd’hui, les “data scientists” représentent un peu plus de la moitié de mon équipe. » Le drone vient s’ajouter à d’autres moyens de numérisation du réseau, comme les satellites, ou un train spécial équipé de scanners laser, qui a déjà inspecté 10.000 km de voies sur les 30.000 que compte le réseau ferré. Les drones, qui ajoutent la vision aérienne, en sont encore loin (près de 400 km), mais ce chiffre est appelé à progresser à mesure que la réglementation française, déjà l’une des plus favorables aux drones, autorisera de nouveaux types de vol, notamment pour les longues distances.
Un enjeu pour les opérateurs
L’agriculture est également vue comme un secteur prometteur. La société AirInov, née en 2010 et dont Parrot a pris le contrôle en 2015, a survolé 100.000 hectares pour le compte de 5.000 agriculteurs producteurs de céréales. Première application, l’optimisation de l’apport d’engrais. Grâce à son capteur développé avec l’Institut national de la recherche agronomique, le drone rapporte des images indiquant l’état de développement des plantes en fonction des zones, afin d’en déduire celles ayant besoin de plus ou moins d’engrais. Les derniers modèles des tracteurs étant équipés de GPS, la modulation de l’épandage de l’engrais peut ensuite se faire de façon automatisée. « C’est le cas pour 15 % de nos clients, mais cela va progresser au fur et à mesure que ceux-ci renouvellent leur matériel, assure Florent Mainfroy, cofondateur d’AirInov. Sans parler de ceux qui ne savent pas que le tracteur qu’ils viennent d’acheter offre cette fonction. » Avec un intérêt évidemment environnemental, technique (l’excès d’engrais peut être contreproductif) et financier.
La jeune entreprise présente ces jours-ci un capteur de nouvelle génération sur le Salon de l’agriculture, à la fois plus léger et offrant en plus des images réelles du champ à l’agriculteur. « Dans l’avenir, avec l’évolution de la réglementation et de la technologie, on peut imaginer que l’agriculteur fera lui-même ce genre de mesure », estime Florent Mainfroy.
La perspective de ces masses de données à traiter n’a pas échappé à l’opérateur Orange, associé à de nombreuses expérimentations en compagnie d’opérateurs de drones. « Un drone génère un nombre considérable de données qu’il faut savoir transmettre de façon sécurisée, traiter, puis stocker. Autant de métiers qui nous concernent. D’où l’intérêt pour nous d’être présent d’un bout à l’autre du cycle, en appui des opérateurs, pour évaluer les besoins du marché et être prêt le moment venu », analyse Luc Bretones, directeur du Technocentre et directeur d’Orange Vallée. D’autant que les volumes de données à traiter ne vont cesser de croître, notamment à cause de la vidéo dont la qualité ne cesse de s’améliorer. Conséquence, les drones commencent à traiter l’image en temps réel afin de n’enregistrer que ce qui est pertinent. « C’est le cas pour la supervision de pipeline : le drone parcourt 200 kilomètres et ne déclenche la prise de vues qu’en cas de suspicion d’usure », précise Luc Bretones.
8,1 milliards d’euros. Le marché mondial des drones en 2015. A lui seul, le secteur militaire en représente la quasi-totalité (6,8 milliards), suivi par les modèles semi-professionnels (1 milliard d’euros). Le marché des drones civils professionnels n’est que de 300 millions d’euros.
4 milliards d’euros. Le marché des drones professionnels est celui qui devrait connaître la plus forte progression dans le monde (+ 1.300 %) d’ici à 2020. A cette date, les drones militaires devraient peser 9,2 milliards (+ 135 %), et les semi-professionnels 2,7 milliards (+ 270 %).
150 millions d’euros. Le marché des drones civils en France en 2015. Il s’agit en majorité (90 millions) de drones de loisirs.
88 millions d’euros. Le marché de l’exploitation des drones de loisirs en France à l’horizon 2020. La surveillance, la sûreté et l’agriculture de précision connaîtront les plus fortes progressions.
De 25 % à 40 %. La part du marché civil en France par rapport au marché mondial en 2025, selon l’évolution de la réglementation et des applications.
(Source : Oliver Wyman, février 2016)
Les Echos 02/03/2016