Des chercheurs de l’ENS Lyon ont observé 2507 élèves de CP en plein apprentissage de la lecture. Un décryptage crucial alors qu’au moins 12% d’entre eux sont envoyés chez des orthophonistes.
Il faut privilégier la dictée, la lecture à haute voix, la compréhension des textes, ne pas faire travailler plus lentement ceux qui ont du mal: telles sont les conclusions d’une étude de terrain, menée avec une équipe de 60 chercheurs, sur l’efficacité des différentes méthodes d’apprentissage de la lecture et de l’écriture en CP. Les chercheurs de l’IFé (ENS Lyon) qui ont observé 131 enseignants et évalué 2507 élèves décortiquent leurs résultats en 446 pages passionnantes.
Dès le début du CP, les performances sont extrêmement contrastées: 10 % des élèves observés savent quasiment déchiffrer alors que la moitié ne reconnaît pas plus de deux mots familiers sur trente-cinq. À la fin du CE1, l’hétérogénéité reste très forte. Lors d’une lecture à haute voix, 20 % d’entre eux lisent trente-cinq mots en moyenne alors que 20 % en lisent cent vingt-trois en moyenne, c’est-à-dire que les plus rapides lisent presque quatre fois plus vite que les plus lents! Ces difficultés dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture sont si importantes que 12 % des élèves sont envoyés chez des orthophonistes!
Le véritable pourcentage est probablement bien plus important, observent les chercheurs, car les enseignants interrogés ne sont pas au courant de tout ce que font les familles. Cela confirme en tout cas «le transfert d’une partie de la remédiation de la lecture vers le secteur paramédical», indique cette étude qui a listé les pratiques pédagogiques exerçant malgré tout une influence positive sur les performances des élèves.
La vitesse d’étude des correspondances entre lettres et sons est ainsi encouragée. Les tempos trop lents utilisés par les professeurs sous prétexte de s’adapter aux élèves trop faibles sont contre-productifs, freinent les apprentissages des élèves, en code mais aussi en écriture, selon l’étude. Un résultat «contre-intuitif pour bon nombre d’enseignants», observe l’étude, qui démontre le contraire: lorsque les élèves n’ont pas assez d’éléments à leur disposition pour réussir à décoder les écrits proposés en classe, ils progressent moins. Bref, l’exigence paye…
Présence et encouragement
Le temps consacré à l’écriture sous dictée exerce une influence significative et positive sur les performances des élèves en décodage. L’effet croît jusqu’à une durée maximale de 40 minutes par semaine. Les élèves initialement faibles sont ceux qui bénéficient le plus de l’allongement du temps consacré à cet exercice. La lecture à haute voix est particulièrement bénéfique pour les plus faibles. Cette influence croît jusqu’à une durée maximale de 55 minutes par semaine.
Les chercheurs se sont aussi interrogés sur la compréhension des textes lus. Dès le début du CP, les 10 % d’élèves les plus performants obtiennent des scores quasi parfaits (14 ou 15 sur 15), quand les 10 % les plus faibles obtiennent un score moyen inférieur ou égal à un point! Or le temps alloué à la compréhension est nettement moins important que celui qui est accordé à l’étude du code ou à l’écriture puisqu’il n’occupe, en moyenne, que 15,5 % du temps global d’enseignement de la lecture et de l’écriture. Pourtant, certaines pratiques font leur preuve.
On observe par exemple que le nombre de livres lus en classe exerce une influence positive. Et surtout, les élèves ont besoin de la présence et de l’encouragement actif du professeur qui les invite à formuler ce qu’ils comprennent. Or, d’après l’étude, les élèves passent beaucoup de temps à traiter des tâches de lecture-compréhension de manière individuelle et «souvent hors de la présence de l’enseignant»…
Le Figaro 16/03/2016