Parmi les trop rares réussites de l’Europe, deux font – encore – à peu près l’unanimité : Airbus et Erasmus. Aujourd’hui devenu Erasmus+, le programme dédié à l’éducation et à la mobilité de la jeunesse, l’un des plus anciens de l’Union, est plébiscité par la plupart des citoyens et la quasi-totalité des jeunes concernés. Raison de plus, dans un contexte où l’Europe est de plus en plus synonyme de déficit démocratique, de bureaucratie tâtillonne, d’incapacité à exister sur la scène mondiale, à l’heure des égoïsmes nationaux (cf le Brexit, la Hongrie, la Pologne…) et des lobbies tout puissants, pour tenter de préserver cette pépite – et regarder avec attention ce qui s’y passe.
Concernant l’enseignement supérieur, principal volet du programme, Erasmus + a permis en 2015, pour la France, la mobilité de 36.000 étudiants – dont 26.000 pour des périodes d’études et 9.600 pour un stage en entreprise. La hausse du nombre de stages apparaît d’ailleurs comme une tendance forte. Au point que dans deux ans, Erasmus + financera sans doute plus de stages que de périodes d’études à l’étranger.
Deux points positifs à souligner. D’abord, la proportion de boursiers d’Etat qui bénéficient du programme augmente sensiblement. Sur l’année universitaire 2014-2015, 35 % des étudiants partis en mobilité internationale avec Erasmus + étaient boursiers sur critères sociaux. Ensuite, les « séjours encadrés » d’Erasmus + ont un effet positif sur l’insertion professionnelle (recherche d’emploi plus courte, accès à des postes plus qualifiés…), ainsi que devrait le montrer dans les jours prochains une étude du Cereq.
Reste qu’Erasmus + n’a plus grand chose à voir avec le dispositif d’il y a quelques années. « C’est désormais un programme tout à fait global, qui s’adresse à des publics très variés – étudiants, lycéens, apprentis, jeunes professionnels, enseignants – et concerne de très nombreux pays, souligne Laure Coudret-Laut, directrice de l’agence Erasmus+/France Education Formation. Erasmus + se démocratise, en touchant un public de plus en plus large. Son ambition est de faire travailler ensemble tous les acteurs de l’éducation. » Erasmus + comporte aujourd’hui de nombreux volets : enseignement supérieur, formation professionnelle, enseignement scolaire, mais aussi projets de coopération, soutien à la réforme des politiques publiques…
Tout est pourtant loin d’être parfait dans ce programme. On peut notamment formuler trois critiques, d’ailleurs étroitement corrélées entre elles.
La principale porte bien sûr sur l’insuffisance des moyens et le manque d’ambition. Tout le monde a en tête le succès des échanges d’étudiants grâce aux bourses Erasmus. Or celles-ci ne couvrent en général qu’une faible partie des besoins : pour les « mobilités d’études » (échanges d’étudiants), le montant des bourses varie entre 150 et 250 euros par mois pour la plupart des destinations (300 euros dans le meilleur des cas) – alors qu’il faut compter au moins le triple pour vivre et étudier dans des conditions « correctes ». Pour le reste, les étudiants doivent donc se débrouiller et compter, pour l’essentiel, sur d’autres aides, et notamment celles qu’accordent un nombre significatif de collectivités locales. La Région Rhône-Alpes, par exemple, est l’une des plus actives sur ce sujet.
Ajoutons que la durée moyenne des séjours d’études tourne autour de 6 ou 7 mois, ce qui reste peu. Les montants accordés pour des stages sont un peu plus élevés (compter 150 euros par mois en plus), mais pour des durées plus courtes (3,5 mois en moyenne).
Une bonne nouvelle, cependant : une hausse substantielle du budget d’Erasmus + a été décidée il y a quelques mois. Pour la France, l’enveloppe devrait ainsi passer de 122 millions d’euros en 2014 à 238 millions en 2020. Autrement dit, un quasi-doublement. De quoi stimuler le nombre de candidats et de projets.
Deuxième problème, lié au précédent : le saupoudrage. Erasmus + multiplie les initiatives et les projets : échanges d’étudiants, formation de jeunes professionnels, échanges d’enseignants, coopérations entre établissements… Mais avec un budget chichement mesuré, cela revient, bien souvent, à n’accorder que de maigres soutiens aux différents candidats et porteurs de projets. Et à laisser aux acteurs (étudiants, enseignants…) le soin de se débrouiller avec les moyens du bord.
Enfin, corollaire des deux points précédents, Erasmus + devient de moins en moins lisible. A force de multiplier les initiatives, le programme finit par se disperser. Et donc par perdre de sa force d’entraînement.
« Erasmus + donne une vision positive de l’Europe, assure cependant Laure Coudret-Laut. C’est un programme de paix, qui permet de diffuser les valeurs communes européennes, comme la tolérance, la liberté, la lutte contre les discriminations… » Dans ce combat pour nos « valeurs communes« , en cette période où les menaces s’accumulent, Erasmus + peut, c’est vrai, jouer un rôle majeur.
Le Monde 02/04/2016