Dix minutes de conversation pour réduire les discriminations

Voilà une étude qui devrait contenter l’ensemble de la communauté scientifique américaine. Dans un article publié jeudi 8 avril dans la revue Science, deux chercheurs apportent la preuve qu’une discussion de dix minutes en face à face peut faire tomber les préjugés dont souffrent les transsexuels. En confrontant à des militants de la cause homosexuelle deux échantillons de personnes d’opinion initiale similaire, et en proposant aux premières un échange sur les discriminations subies par les « trans », aux secondes un dialogue sur un autre sujet, le tri sélectif, on produit deux ­résultats sensiblement ­dissemblables.

Preuve de l’importance de la confrontation des idées, principe cher à la science ? Espoir quant à la capacité d’améliorer les êtres humains ? Certainement tout ça. Mais le contentement profond de la communauté vient d’ailleurs. Cette étude clôt, en effet, une lourde polémique qui, en 2015, avait terni l’image de la recherche en science politique et de la prestigieuse publication Science.

Le 11 décembre 2014, un article signé par un doctorant de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), Michael LaCour, et un professeur de Columbia, Donald Green, ­annonçait qu’en vingt-deux minutes on pouvait transformer « un habitant du Midwest ­[conservateur] en électeur du Massachusetts [progressiste] ». Les deux chercheurs montraient en effet qu’une discussion avec un militant gay permettait d’améliorer de 8 points le niveau d’acceptation du mariage homosexuel, et même d’influencer en cascade toute sa famille.

Mais cinq mois plus tard, patatras : à la ­demande de Donald Green, la revue Science rétractait l’article. Ce dernier venait de ­découvrir que son coauteur avait manipulé les ­données. Scandale dans le milieu des sciences ­politiques. Emotion dans la revue. Embarras du Centre lesbien, gay, bi et trans (LGTB), qui avait fourni les militants.

Un nouveau résultat remarquable

Près d’un an plus tard, ce nouveau résultat apparaît remarquable à bien des titres. A commencer par le fait que ceux qui le présentent sont ceux-là mêmes qui avaient levé le lièvre : David Broockman, professeur assistant d’économie politique à l’université Stanford, et ­Joshua Kalla, doctorant en sciences politiques de l’université Berkeley. « Nous ­avions été ­contactés par le Leadership Lab de l’association LGBT, raconte Broockman. Ils voulaient des chercheurs indépendants à la fois pour vérifier la méthode et pour l’étendre à ce qui constitue la nouvelle frontière du ­militantisme de la cause homosexuelle : les ­discriminations envers les transsexuels. »

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C’est en vérifiant les résultats de la première étude que les deux chercheurs avaient dévoilé la supercherie. Mais cette victoire leur laissait un goût amer. « La rétractation de l’article a disqualifié du même coup la méthode, explique le chercheur de Stanford. Or pour nous, elle ramenait juste les compteurs à zéro. Il fallait refaire le travail. »

C’est ce qu’ils ont fait. Reprenant un dispositif proche de celui de leurs prédécesseurs, ils ont mis en évidence une réduction des préjugés qui ­perdure pendant au moins trois mois, ce qui en science politique est considéré comme ­durable. Une réduction sensible, ­équivalente à l’évolution des mentalités vis-à-vis des homosexuels enregistrée sur une ­période de quatorze ans. Bien que Broockman assure avoir travaillé sans pression particulière, il a quand même pris soin de faire ­vérifier ses données par un collègue. Il a ­également envoyé son ­article à Donald Green, le cosignataire trompé de la première étude. « C’était mon premier professeur de science ­politique », précise-t-il. On suppose que Science a également pris quelques précautions dans la relecture.

Alors, beaucoup de bruit pour rien ? Sûrement pas, affirment les auteurs. D’abord « la méthode est désormais confirmée », insiste Broockman. « Et contrairement à la précédente étude qui affirmait que seuls des interlocuteurs homosexuels pouvaient réduire les préjugés, nous constatons des résultats tant avec des visiteurs transgenres que non-transgenres », ajoute Joshua Kalla. Tout le monde est décidément content.
Le Monde 12/04/2016