Stefano Scarpetta : « L’enjeu n’est pas la disparition du travail mais sa transformation »

INTERVIEW – Le directeur de la Direction emploi, travail et affaires sociales de l’OCDE.

Faut-il craindre un « chômage technologique de masse » à court ou moyen terme ?

Je ne pense pas. Certes, il y a de réelles incertitudes sur le devenir à l’horizon 10 ou 15 ans de certains postes. Nous avons mesuré que 9 % des emplois des pays de l’OCDE présentent au moins 70 % de tâches automatisables et sont à ce titre menacés. S’ajoutent 20 % de postes présentant 50 à 70 % de tâches automatisables. Mais les emplois ne vont pas forcément disparaître, ils devraient plutôt fortement évoluer. Ils vont se recentrer dans les domaines nécessitant des interactions sociales et une intelligence créatrice, là où l’homme conservera un avantage comparatif.

Il ne faut pas oublier non plus que si la technologie détruit des emplois, elle en crée aussi beaucoup. Chaque emploi créé dans le numérique en génère ensuite quatre ou cinq par des effets de filières. Le véritable enjeu, ce n’est pas tant la disparition du travail que sa transformation et sa polarisation.

Comment se traduit cette polarisation ?

Avec les progrès de l’intelligence artificielle notamment, les machines développent des capacités d’apprentissage et commencent à effectuer des tâches cognitives, pas seulement répétitives. A la différence des précédentes révolutions industrielles, des emplois de plus en plus qualifiés sont menacés. On peut par exemple imaginer des chauffeurs de taxis remplacés par des google car ou des interprètes par des logiciels de traduction simultanée.

Le progrès technologique impacte fortement les besoins de main d’oeuvre. Avec l’automatisation croissante, la demande de travailleurs aux compétences intermédiaires a chuté depuis quinze ans. Les emplois se concentrent de plus en plus sur les postes les plus qualifiés et, à l’autre bout du spectre, sur ceux peu qualifiés mais nécessitant beaucoup d’interactions sociales, dans les services à la personne par exemple. La technologie amène les métiers à évoluer de plus en plus vite. Cela fait de la formation continue un enjeu clef, avec des outils souples et individualisés, comme le compte personnel de formation. Une étude que nous finalisons actuellement montre qu’environ un salarié sur deux dans l’OCDE a encore des compétences numériques faibles alors qu’elles sont, et seront, de plus en plus indispensables.

Comment s’inscrit la France par rapport à ses voisins ? L’emploi y est-il plus menacé ?

Non, avec 9 % d’emplois automatisables et 20 % d’emplois en partie automatisables, elle s’inscrit plutôt dans une moyenne basse. L’Italie où l’Allemagne par exemple sont plus menacées car leur secteur manufacturier y est plus développé, alors qu’en France le poids des services, avec moins de postes menacés, est plus fort. Le tissu d’entreprises influe aussi : plus de postes sont automatisables dans les grandes entreprises et les grosses PME que dans les plus petites structures, où les salariés sont plus multi-tâches.

POUR EN SAVOIR PLUS :

L’OCDE a publié en mai une étude sur « l’automatisation et le travail indépendant dans une économie numérique ».
Les Echos 26/07/2016