Le timide projet de réforme de l’évaluation des enseignants

 

Un inspecteur assis au fond de la classe, qui observe un cours. A l’autre bout, un professeur stressé, qui tente de donner le meilleur de lui-même. A la clef, une note, qui déterminera l’augmentation de salaire. Le vieil édifice sur lequel repose l’évaluation des enseignants a-t-il vécu ? Au ministère de l’éducation nationale, le sujet est sur la table. Depuis juin, des discussions avec les syndicats suivent leur cours. Un projet de réforme, dont Le Monde a pris connaissance, leur a été présenté les 14 et 15 septembre, pour une application en 2017.

Le ministère réveille là un dossier sensible, prompt à mettre les enseignants dans la rue. La dernière tentative de réforme en 2011, sous la droite – qui faisait endosser au chef d’établissement le rôle d’évaluateur à la place de l’inspecteur –, avait soulevé un tollé. Adoptée in extremis en mai 2012, elle avait été abrogée aussitôt par la gauche au pouvoir. Cette fois, rien d’explosif ne transparaît dans cette réforme en gestation. Rien de révolutionnaire non plus, même si les changements qu’elle induit viennent amorcer des évolutions de fonds.

Dans l’esprit, la réforme vise à changer la nature de l’évaluation, pour qu’elle serve davantage à accompagner les professeurs qu’à distribuer des bons ou des mauvais points. Le but, en somme, est de passer d’une gestion très administrative des carrières – souvent perçue comme infantilisante –, à « une véritable politique de développement des compétences et de gestion des ressources humaines », avait déclaré, en juin, la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, en préambule des négociations sur le sujet.

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Surpréparation pour les inspections

Pour l’heure, les professeurs sont notés, tout comme leurs élèves. A l’issue de sa visite en classe, qui a lieu en moyenne tous les cinq ans, l’inspecteur leur attribue une note pédagogique. Au collège et au lycée, elle est couplée d’une note administrative, d’un poids moindre, donnée annuellement par le chef d’établissement. De cette double notation dépend l’avancement des enseignants, qui gravissent plus ou moins vite les échelons de la grille salariale.

« Le fait que l’inspection débouche sur un jugement et une note dont dépendra l’avancement dans la carrière conduit les enseignants à tenter de donner la meilleure image possible d’eux à l’inspecteur, explique le sociologue Xavier Albanel, spécialiste du sujet. La plupart vont surpréparer le cours et déployer un maximum d’énergie pendant la leçon. Mais dans le même temps, ils vont taire leurs difficultés et se priver ainsi d’une occasion d’être aidés. »

Dans le nouveau système, l’inspecteur changerait de casquette : sans promotion à la clef, il pourrait rendre visite à un enseignant ou à une équipe – par exemple, pour aider à la mise en place d’un projet ou de nouvelles pratiques –, à la demande des enseignants ou de sa propre initiative. Reste à savoir si la théorie sera suivie des faits : les inspecteurs auront-ils le temps de faire ces visites ? Les enseignants oseront-ils faire appel à eux ? « Surtout, l’objectif de mieux accompagner les professeurs ne sera pas atteint si la formation continue reste exsangue », prévient Xavier Marand, du syndicat SNES-FSU, majoritaire dans le secondaire.

Par ailleurs, le projet maintient une part de « salaire au mérite ». A quatre moments clefs de leur parcours, les enseignants auraient des « rendez-vous de carrière » – une inspection en classe, suivie d’un entretien avec l’inspecteur puis avec le chef d’établissement –, au cours desquels ils pourraient bénéficier d’une promotion.

Lors deux premiers rendez-vous, après sept ans et treize ans d’ancienneté, les plus « méritants » verraient leur carrière accélérer d’une année. Le 3e rendez-vous, après vingt ans, pourrait permettre d’accéder plus vite au grade de la « hors-classe » ; le 4e, en fin de carrière, d’atteindre un nouveau grade, la « classe exceptionnelle », ouverte en priorité à ceux qui ont travaillé en éducation prioritaire ou exercé des responsabilités (formateur, directeur d’école, conseiller pédagogique…) pendant au moins huit ans.

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Plus de notes, mais des appréciations

« Le nouveau système sera plus équitable, estime Christian Chevalier, du syndicat des enseignants de l’UNSA. Actuellement, il n’y a aucune régularité dans le rythme des inspections : certains sont inspectés tous les trois ans, d’autres tous les quinze ans, ce qui est source d’injustices dans l’évolution des carrières. Là, les choses sont claires : on sait à quel moment tombe l’inspection, et tout le monde y passe. »

Le nouveau système se veut aussi moins opaque, puisque des critères nationaux, qui n’existaient pas jusqu’à présent, seraient définis. Dans une grille qui comprendrait onze critères, l’inspecteur évaluerait la « maîtrise des savoirs disciplinaires et leur didactique », la capacité à « prendre en compte la diversité des élèves », à mesurer leurs progrès… Le chef d’établissement jugerait, lui, la capacité du professeur à « coopérer au sein d’une équipe » ou avec les parents. Dans la grille, pas de notes, mais des appréciations, allant de « à consolider » à « excellent ».

Lors de ces rendez-vous, l’enseignant aurait son mot à dire. Il lui serait demandé de remplir un bilan professionnel pour parler de son parcours, sa pédagogie, son implication dans la vie de l’établissement, ses souhaits d’évolution professionnelle. « Ce bilan, ce sera le plaidoyer de l’enseignant, estime Frédéric Sève, du SGEN-CFDT. Jusqu’à présent, il n’avait pas le droit à la parole. On lui ouvre un espace pour parler de ce qu’il fait, y compris de ses activités invisibles, qui passent hors des radars de sa hiérarchie. »

2011 est dans toutes les têtes

La réforme semble, somme toute, assez tranquille, car elle ne franchit pas la « ligne interdite » défendue par le SNES-FSU : le rôle de l’inspecteur, jugé légitime pour évaluer les enseignants, reste prépondérant par rapport à celui du chef d’établissement. Il n’en reste pas moins qu’elle fait des déçus. « Ce que nous contestons, c’est la part d’évolution de carrière au mérite. Nous souhaitons que chacun avance au même rythme », déplore Xavier Marand, du SNES. « C’est un rendez-vous raté, regrette de son côté Francette Popineau, du SNUipp-FSU, majoritaire au primaire. Quel dommage que l’évaluation reste connectée à un tri des enseignants entre les soi-disant méritants et non méritants ! La carotte, ce n’est pas ce qui fait progresser… »

Toujours est-il que l’épisode de 2011 est dans toutes les têtes. A sept mois de l’élection présidentielle, la question est aussi de jouer, ou non, tactique : faut-il accepter, maintenant, une réforme par défaut, ou bien prendre le risque de voir ressurgir, dans une prochaine mandature, une réforme qui serait jugée pire ?
Le Monde 19/09/2016