Le réchauffement, c’est maintenant

Alors que les records de chaleurs’enchaînent, le seuil critique de 2°C d’élévation des températures risque d’être atteint dès 2050, alerte un groupe de scientifiques. Quand bien même l’Accord de Paris serait respecté…

Le document s’intitule la Vérité sur le changement climatique. Rien que ça. Et c’est une vérité qui dérange. Que dit cette analyse publiée ce jeudi et signée par six scientifiques du monde entier, dont l’ancien président du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), Robert Watson ? Que la température moyenne du globe pourrait atteindre dès 2050 la fameuse limite des + 2 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, perçue par les climatologues comme un seuil à ne surtout pas dépasser sous peine de ne plus pouvoir contrôler l’emballement du climat et ses funestes conséquences (élévation du niveau des océans, aggravation et fréquence accrue des sécheresses, cyclones et inondations, chute des rendements agricoles, migrations massives, épidémies…).

Objectif chimérique

Fixée en 2009 à Copenhague, cette limite a été inscrite dans l’Accord de Paris sur le climat adopté fin 2015 par 195 pays, lesquels se sont même engagés noir sur blanc à contenir le réchauffement «bien en-deçà de 2 °C», voire à 1,5 °C. L’idée étant donc, idéalement, de ne jamais dépasser ces 2 °C ou, au pire, de stabiliser la planète à ce niveau d’ici 2100. Or, tout indique qu’il s’agit là d’un objectif chimérique et que ces 2 °C risquent fort d’être atteints dès 2050. Et ce, «même si les promesses sont pleinement mises en œuvre [en référence aux contributions nationales des Etats – INDC -, c’est-à-dire aux mesures annoncées par 189 d’entre eux pour limiter ou réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), ndlr]», souligne le rapport, publié par l’ONG Universal Ecological Fund. Basé sur différentes publications, le plus souvent onusiennes, ce dernier vise surtout à «fournir de l’information accessible sur le changement climatique», et à sonner une énième fois l’alarme. Le constat est sans appel. En 2015, les températures du globe avaient déjà pris + 1 °C par rapport au niveau d’avant la révolution industrielle… contre + 0,85 °C en 2012, soit une hausse ultrarapide. Et, «à cause de l’absence d’action pour stopper la hausse des émissions mondiales de GES pendant les vingt dernières années, un réchauffement additionnel de 0,4 à 0,5 °C est anticipé. Les 1,5 °C pourraient être atteints d’ici le début des années 2030», alerte le texte. «Le changement climatique se passe maintenant, et bien plus vite qu’anticipé», insistent les auteurs, qui regrettent un «malentendu» généralisé quant à l’urgence du sujet.

Puits de carbone

Mois après mois, en effet, le thermomètre mondial s’affole. Le mois dernier a été le mois d’août le plus chaud depuis cent trente-sept ans, seizième record mensuel d’affilée en la matière. La Terre n’avait jamais connu une aussi longue période de hausses mensuelles des températures depuis le début des relevés, en 1880, souligne l’Agence océanique et atmosphérique américaine (NOAA). Et 2016 est bien partie pour battre un nouveau record annuel de chaleur, qui serait le troisième consécutif.

L’heure est si grave que le président américain Barack Obama a exhorté la semaine dernière les signataires de l’Accord de Paris à le mettre en œuvre dès que possible. «Si nous n’agissons pas vigoureusement, nous aurons à payer le prix de migrations massives, de villes submergées, de personnes déplacées, de réserves alimentaires qui fondent et de conflits générés par le désespoir», a-t-il lancé à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies. Le nombre d’événements climatiques extrêmes a déjà doublé depuis 1990, et «atteindre les + 2 °C veut dire qu’il doublera encore», souligne le rapport publié jeudi. S’il ne remet pas en cause l’intérêt de l’Accord de Paris, le qualifiant même d’«étape déterminante» dans l’action climatique, ce dernier invite toutefois à redoubler d’efforts (au sens strict), voire à les tripler. A supposer que toutes les promesses actuelles des Etats soient appliquées, insiste-t-il, «le niveau des émissions mondiales de GES dépassera de 33 % ce qu’il devrait être en 2030 pour pouvoir rester sous les 2 °C».

Et encore, même ceci n’est pas du tout gagné. Car ces promesses ne sont a priori pas contraignantes : seule leur traduction (ou non) dans la législation de chaque Etat donnera le niveau de contrainte. Pour pouvoir rester sous les 2 °C, rappelle le rapport, il faudrait viser l’objectif de «zéro émission net» de CO2 d’ici 2060 à 2075. C’est-à-dire parvenir à un équilibre entre les émissions de GES dont l’homme est responsable et leur absorption par les puits de carbone (forêts et océans absorbent aujourd’hui 50 % des émissions anthropiques de CO2).

«Couvert forestier»

Les auteurs insistent sur l’importance «critique» de produire de l’énergie sans brûler de combustibles fossiles (pétrole, gaz et charbon), mais aussi d’«utiliser l’énergie plus efficacement, voyager moins et même changer nos régimes alimentaires».

Plus surprenant, puisque «planter de nouvelles forêts ne suffira pas à atteindre le « zéro émission net » car cela impliquerait d’au moins doubler le couvert forestier mondial», les auteurs plaident en faveur des techniques de capture et stockage du carbone. Celles-ci sont pourtant aujourd’hui quasiment au point mort, avec à peine une douzaine d’installations capturant moins de 0,1 % des émissions mondiales de CO2, tant elles sont chères.

Alors, sommes-nous tous fichus ? Pas si nous agissons enfin à la hauteur de la menace, et vite, concluent les auteurs. «Il reste quatre ans avant l’entrée en vigueur des INDC en 2020. D’ici 2018, tous les Etats ont accepté de réviser leurs promesses, cela laisse assez de temps pour relever significativement le degré d’ambition des actions de réduction des émissions de GES et adopter les politiques nécessaires à leur application effective dans chaque pays.» Que les optimistes lèvent la main.

Libération 29/09/2016