Le mal de terres

Les exploitants agricoles âgés manquent de repreneurs, alors que les plus jeunes ont des difficultés à trouver des terrains.

Quelle vitrine pour l’agriculture française ! A Kaboul, la seule occasion, pour les agriculteurs, de présenter leurs produits, c’est le marché… A Paris, au Salon de l’agriculture, qui s’est terminé dimanche, ils étaient des milliers à mettre en avant leur production, leurs immenses tracteurs, leurs outils modernes… Pourtant, on entend partout que l’agriculture en France est en crise, que les agriculteurs ne gagnent pas assez d’argent et que bientôt il n’y aura plus de paysans. Difficile d’y croire vu d’Afghanistan, où l’agriculture traditionnelle est la principale ressource et activité du pays.

«Jeunes passionnés»

D’autant que la France est une grande puissance agricole. Au salon, nous avons enquêté auprès des exploitants pour comprendre leur parcours. Celui des jeunes qui veulent se lancer, mais aussi des plus anciens, proches de la retraite. Avec entre les deux, un enjeu : la transmission de la terre entre générations.

Pour les agriculteurs français, trouver un repreneur est parfois difficile. Si certains ne veulent tout simplement pas céder leurs terres, parce qu’ils y sont attachés, d’autres ne peuvent pas le faire. Pour améliorer leurs retraites, des agriculteurs vendent par exemple leurs parcelles au plus offrant. Elles sont parfois utilisées pour des projets d’urbanisation. «Arrivés à l’âge de la retraite, d’autres p réfèrent garder leur statut d’agriculteur et font appel à des prestataires pour cultiver leurs terres et continuer à toucher les aides de la Politique agricole commune», souligne Joël Limouzin, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Ce qui représente une entrave à l’installation. Pour les repreneurs, les choses sont aussi compliquées. «Aujourd’hui, 7 000 emplois agricoles sont détruits tous les ans en France, à cause des départs en retraite ou des cessations d’activité. En même temps, au moins 15 000 personnes veulent devenir agriculteurs», rappelle Tanguy Martin, membre de Terre de liens, une association «qui aide les gens qui veulent devenir agriculteurs à trouver de la terre». Car tous n’y parviennent pas. Michèle Roux, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, estime que «depuis vingt ans, 20 000 paysans disparaissent chaque année, et cela va être pire avec le papy-boom. Malheureusement les gens qui s’installent ne sont que 13 000 par an. C’est dramatique, il en va de l’avenir de l’agriculture».

La nouvelle génération est pourtant attirée par le métier. «Il y a des jeunes passionnés. Oui c’est difficile, oui certaines normes sont contraignantes. Le métier peut faire peur. De nombreux agriculteurs le déconseillent même à leurs enfants. Pour autant, certains jeunes voient le métier comme un travail du vivant, diversifié, qui change tous les jours», explique Joël Limouzin. «On a choisi ce métier par passion, témoigne Benjamin, agriculteur de 22 ans, et ce même si, selon lui, l’activité n’est pas toujours rentable. Après, c’est vrai qu’il y a des difficultés, notamment administratives, mais surtout financières.»

Disparition des terres

Principal problème : le coût d’une installation agricole. «S’il s’agit de maraîchage sur deux hectares, il peut varier entre 50 000 euros et 100 000 euros. Pour de l’élevage sur 40 à 60 hectares, c’est une centaine de milliers d’euros», précise Tanguy Martin. Cela varie aussi selon que l’on achète ou que l’on loue. «L e prix de la terre a augmenté de 40 % en dix ans», poursuit-il. La faute, notamment, à la disparition des terres, liée à la spéculation immobilière ou entre agriculteurs, «car des gens pensent que pour sortir de la crise, il faut acheter toujours plus de terres et produire toujours plus». Une erreur pour l’association.

Parmi les porteurs de projet, ceux non issus de familles d’agriculteurs rencontrent le plus de difficultés. «Si vous n’êtes pas né dedans et si vos parents ne sont pas riches, vous ne pouvez pas vous installer», pointe Benjamin, qui a, lui, rejoint la ferme familiale. Or, selon Limouzin, «plus de la moitié des jeunes en formation agricole ne sont pas issus du milieu».

Pour lutter contre les freins à la transmission, Terre de liens a choisi de collecter l’épargne de citoyens pour acheter des fermes et les louer à des agriculteurs. «Cela prouve l’appétence des Français pour sauvegarder l’agriculture. Il y a un attachement fort», se réjouit Tanguy Martin. «Ce qui est important, pour faciliter la transmission, c’est la mise en relation entre cédants et entrepreneurs. Il faut trouver la bonne personne», estime de son côté la Confédération paysanne, qui défend une politique d’accompagnement par l’Etat. Quant à Joël Limouzin, il estime qu’il faut d’abord «arrêter les clichés contre le monde agricole»,et ne pas avoir peur de la modernisation de l’agriculture, ni des grandes fermes exploitées collectivement. Et de conclure : «Quand on a de la passion, on peut être heureux et agriculteur.» Si en Afghanistan, l’agriculture ne risque pas de disparaître, elle semble aussi avoir un bel avenir en France

Libération 07/03/2017