Sécurité, économie et écologie : les atouts du logiciel libre

Si l’affaire est technique, elle a aussi le vent en poupe. Dans le monde du numérique, le logiciel libre, un logiciel dont le code source est librement accessible, modifiable et distribuable par ses utilisateurs, est un acteur bon élève : 15% de croissance en 2016, selon le Conseil National du Logiciel Libre (CNLL). A l’occasion des Rencontres mondiales du logiciel libre (RMLL), qui se tiennent à Saint-Étienne du 1 au 7 juillet, Acteurs de l’Économie – La Tribune a rencontré François Aubriot, président de l’association des Entreprises du numérique libre en Rhône-Alpes-Auvergne. Interview.

Acteurs de l’économie – La Tribune. Qu’est-ce que les entreprises en numérique libre ?

François Aubriot. Ce sont des entreprises qui travaillent quasi exclusivement sur, avec, autour et pour les logiciels libres (LL). Un logiciel libre est un logiciel que l’on peut modifier, améliorer, distribuer et utiliser : ce sont les quatre fondamentaux.

L’intérêt majeur du LL c’est que le code source du logiciel est accessible. Son utilisation et son observation sont donc possibles, ce qui n’est pas le cas avec Microsoft ou Oracle par exemple. Un logiciel privatif nécessite l’achat d’une licence, mais sans savoir comment il fonctionne.

Les pure-players, ceux qui s’affichent comme étant des acteurs du logiciel libre et open source, représentent 10 % de l’activité numérique en France. Mais toutes les grandes entreprises utilisent des logiciels libres. Les particuliers aussi : pensez à VLC, Firefox, Libre Office…

Le libre est-il compatible avec la recherche de profit d’une entreprise ?

Oui, il est possible de concilier les deux. Plusieurs entreprises en France en font la démonstration, employant des millions de collaborateurs. Red Hat, l’un des premiers fournisseurs mondiaux de solutions logicielles open source, aux États-Unis, a un chiffre d’affaires d’environ deux milliards de dollars.

Les modèles économiques du LL ne sont pas basés sur la vente de licence, sur laquelle l’éditeur de logiciels peut traditionnellement marger. Nous ne faisons que du service. Si nous voulons travailler, il vaut donc mieux être compétent, sinon le client ira trouver un autre prestataire. Avec les logiciels privatifs, si le client se rend compte qu’il a fait une erreur, il aura déjà dépensé 50 000 euros dans les licences.

Ce n’est donc pas du one shot où l’on signe le contrat du siècle avant de devoir en trouver un nouveau. C’est un partenariat efficace, une maintenance et un suivi.

Avec les coûts de maintenance, cela ne revient-il pas plus cher au client ?

Ce n’est ni plus ni moins cher. Au lieu de mettre beaucoup en investissement de départ, ce sont des coûts de fonctionnement plus étalés. Mais avec les logiciels propriétaires, il faut aussi payer les mises à jour.

Comment réagissent les éditeurs de logiciels propriétaires ?

On a vu des éditeurs de logiciels propriétaires basculer sur du libre. Par exemple l’Agence française d’informatique (AFI) à Annecy a développé une version communautaire gratuite et accessible de son logiciel destiné aux collectivités, parce qu’elle s’est rendu compte que ce ne sont pas les 3 000 ou 5 000 euros de licence qui va lui permettre d’être pérenne.

Petya, Wannacry… de récentes cyberattaques ont été très violentes. Le logiciel libre est-il plus résistant ou résilient en matière de cybersécurité ?

Tout à fait. Nos clients qui travaillent avec des postes Linux n’ont pas été inquiétés par ces virus et ransomware. Intrinsèquement, il y a une vraie sécurité : on sait comment fonctionne le système d’exploitation. Ensuite, grâce aux communautés de centaines ou milliers d’utilisateurs très pointus, lorsqu’il y a une faille de sécurité, une solution est trouvée dans la demi-heure.

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Vous parlez du libre comme de green IT. Qu’est-ce que c’est ?

Nous sommes confrontés à des lobbies extrêmement puissants, qui ont énormément d’argent –  d’ailleurs on aimerait qu’ils paient plus d’impôt en France. Ils nous font croire qu’il faut changer tous les ans de téléphone, de machines. Ce sont des appareils fabriqués dans des conditions sociales lamentables, fabriqués avec des matières rares et aujourd’hui nous ne sommes pas capables de recycler plus de 30 % des déchets électroniques.

Le logiciel libre, et en particulier Linux, permet de faire fonctionner des matériels très anciens. Dans les écoles, par exemple, l’utilisation du LL est très pertinente.

Qu’en est-il du matériel libre ?

Pour l’utilisateur, c’est la face cachée du problème. Mais ce qu’on appelle l’ « open hardware » est très important, notamment dans le domaine de l’Internet des objets (IoT).

Nous avons aujourd’hui un véritable problème avec les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, NDLR) et l’utilisation des données. Les objets connectés sont de véritables boites noires et une bombe à retardement.

Nous militons aussi beaucoup pour l’open science : nous voudrions avoir accès aux protocoles scientifiques. Lorsqu’un laboratoire met au point une molécule, nous voulons avoir accès aux données pour pouvoir les rejouer différemment, et peut-être avoir d’autres idées.

Il y a un aspect partage, bien commun, entre aide, très important. Ce qui ne va pas nécessairement avec les besoins capitalistes des grandes entreprises américaines.

La métropole de Lyon et la région Rhône-Alpes-Auvergne sont-elles sensibles à ce discours ?

Non. Le problème est qu’on ne va jamais reprocher au management informatique de choisir la solution la plus chère. En revanche, on pourra lui reprocher d’avoir pris un risque sur le logiciel libre.

Pourtant, si l’argent public a servi à financer un développement, il faut que ce code soit public. Nous avons des élus qui ne comprennent pas grand-chose et qui ne sont pas forcément bien conseillés. Aujourd’hui, le plus difficile est la résistance au changement. Mais on va y arriver !

La Tribune 10/07/2017