Le regard des Français sur les banlieues se durcit

Les Français portent un jugement plus sévère sur les quartiers populaires. Ils sont ainsi plus nombreux qu’il y a cinq ans à les associer à des images négatives telles que la délinquance (pour 92 % des personnes interrogées), le chômage (94 %) ou l’assistanat. La proportion de ceux qui pensent qu’on en fait trop pour les plus démunis et les banlieues progresse de 11 %.

Une photographie en nette dégradation depuis 2009, selon une enquête du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc), publiée mercredi 22 avril. L’étude, intitulée « Evolution du regard sur les quartiers sensibles de 2009 à 2014 », corrobore un constat partagé par nombre d’élus et d’associatifs : la société française est moins encline à aider ses banlieues qu’avant la crise économique.

L’étude du Crédoc – effectuée auprès d’un échantillon de 2 003 personnes lors d’entretiens en face-à-face durant un mois – a dû attendre quelque temps dans les tiroirs avant d’être diffusée. Réalisée en janvier 2014, elle avait été commandée par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSE), juste avant que cette dernière ne fusionne au sein du Commissariat général à l’égalité des territoires, à la suite du vote de la loi Lamy sur la ville. Il a fallu ensuite laisser passer les élections municipales et attendre la mise en place des nouvelles instances de l’administration de la politique de la ville. Les résultats, comparés à ceux obtenus en 2009 lors d’une enquête similaire, ne manquent pas d’inquiéter.

C’est en effet un repli général que dessine l’étude. Comme l’ensemble des questions sociales telles que la pauvreté, l’insertion des jeunes, les discriminations ou l’inégalité de revenus, la préoccupation à l’égard des quartiers recule depuis 2009 : avec un retrait de 6 points en cinq ans, cet item occupe désormais la dernière position, quand on demande aux Français quels sont leurs sujets d’inquiétude dans la conjoncture actuelle. Les réponses varient selon l’âge et le statut social des interviewés. Ainsi ceux qui s’en préoccupent le moins sont les jeunes (moins 18 points) ainsi que les habitants des communes rurales. Les plus sensibles sont les habitants de la région parisienne, les professions intermédiaires et les diplômés.

Absence d’empathie

La solidarité envers les plus démunis – et pas seulement envers les habitants des banlieues –, concept fédérateur de la société française depuis les lendemains de la Libération, est remise en question. En 2009 pourtant, elle semblait encore spontanée après le surgissement de la crise économique. L’idée que « les chômeurs pourraient retrouver un emploi s’ils le voulaient vraiment » est désormais majoritaire, avec 64 % d’opinions favorables. De même, 37 % des sondés estiment que « les pauvres n’ont pas fait d’efforts pour s’en sortir ».

Cette absence d’empathie a des répercussions sur la vision du rôle de l’Etat : les politiques sociales sont questionnées par crainte de « déresponsabilisation » des bénéficiaires. Ainsi, 44 % des sondés jugent que distribuer les aides de la collectivité aux familles démunies « leur enlève tout sens des responsabilités ». Et, aux yeux des trois quarts d’entre eux, « il est parfois plus avantageux de percevoir les minima sociaux que de travailler avec un bas salaire ».

Sans surprise, la thématique sécuritaire comme solution dans les banlieues connaît un succès grandissant. Quand on demande aux Français ce qui manque le plus dans ces quartiers, la réponse est sans appel : des activités pour les jeunes et des centres de police de proximité (plus 7 points depuis la dernière enquête), bien devant l’implantation d’entreprises, les lieux culturels ou les installations sportives. À l’inverse, le pourcentage de ceux qui pensent qu’il faut plus d’aides financières et de services publics pour les habitants des cités sensibles recule, passant de 43 % à 35 %. « Ce durcissement est assez atypique en période de crise où, d’habitude, les Français montrent plus d’empathie avec les plus pauvres », remarque Sandra Hoibian, qui a dirigé l’étude. La directrice de département nuance cependant : « L’enquête a été renouvelée au début de l’année 2015 auprès du même échantillon et le regard s’avère moins sévère. »

Enfin, un point positif ressort de ce sondage : ceux qui habitent dans les quartiers populaires, y travaillent ou y connaissent des proches en ont l’image la plus positive. Pour la moitié d’entre eux, les jeunes des quartiers sensibles « sont une richesse pour le pays ». Ils sont autant à penser que les associations y sont dynamiques et nombreuses. C’est donc bien à travers une connaissance personnelle ou une expérience de ces territoires stigmatisés qu’on parvient à changer les a priori.