Le changement climatique au coeur des débats du Conseil de l’Arctique

Il y avait un absent de taille – le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov – et un invité de marque – le secrétaire d’État américain John Kerry – à la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique, vendredi 24 avril à Iqaluit dans le territoire du Nunavut, dans le grand Nord canadien. Le premier s’était décommandé, froissé semble-t-il par l’annulation à Ottawa d’une rencontre préparatoire à la réunion d’Iqaluit. Le gouvernement canadien, en froid avec Moscou depuis le début de la crise ukrainienne, ne souhaitait pas, dit-on, la présence de diplomates russes dans la capitale. Du coup, on a plutôt dépêché le ministre russe de l’environnement Sergueï Donskoï.

Ce mini-sommet créé en 1996, au cours duquel le Canada a passé le relais aux États-Unis après deux ans de présidence du Conseil de l’Arctique, a démontré combien les huit pays membres sont préoccupés par les effets des changements climatiques. Vendredi, les ministres ont dévoilé un nouveau plan d’action pour améliorer la prévention de la pollution par les hydrocarbures et un accord-cadre pour la réduction des émissions de carbone noir (suie) et de méthane, gaz à effet de serre parmi les plus dangereux.

Coopération internationale

Le carbone noir, émis par la combustion au diesel et les feux de bois, est une plaie en zone arctique où il s’accumule sur la glace en une pellicule de suie noire qui retient la chaleur et accélère la fonte de la banquise. « Il faut se regarder dans le miroir », a déclaré John Kerry avant de rappeler que les États-Unis veulent mettre en œuvre un plan d’action pour recenser les émissions nationales de carbone noir, puis les réduire, y compris par la voie de la coopération internationale. Mais il faudra attendre 2017, lors de la prochaine réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique, pour avoir des cibles de réduction pour les huit États membres. La Russie salue tout de même l’accord-cadre comme une « réponse opportune » au défi posé.

La présidence américaine pour les deux prochaines années a des objectifs « ambitieux mais réalisables », estime M. Kerry. Son programme a pour axe principal de répondre aux répercussions des changements climatiques sur la zone arctique mais aussi d’y « promouvoir la sécurité » et d’améliorer les conditions de vie des populations locales. Le Canada avait plutôt mis l’accent ces dernières années sur le développement économique et social, avec la création d’un Conseil économique de l’Arctique.

M. Kerry a profité de son passage à Iqaluit pour évoquer la conférence dees Nations unies sur le climat (COP 21), à Paris en décembre, dont il espère « un accord ambitieux sur des mesures climatiques ». Il juge que l’un des moyens d’« être en position de force » avant ce rendez-vous est d’avancer dans les négociations avec de grands pollueurs comme la Chine et l’Inde. Quant à l’Arctique, il est essentiel selon lui de lier son sort au reste du monde, lequel est responsable de la majeure partie de ses problèmes environnementaux, comme de sa protection.

« Changements alarmants »

« L’Arctique est une région de premier plan pour le système climatique mondial, souligne-t-il, et les changements qui y sont observés sont alarmants, avec des températures qui augmentent deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale ». Il a dressé un tableau sombre de la situation, évoquant la disparition programmée des glaces au large de l’Alaska, l’érosion accélérée des côtes, les infrastructures qui s’écroulent dans certains villages avec la fonte du pergélisol, la libération du méthane, la calotte glaciaire qui se rétrécit, les tempêtes et les inondations qui se multiplient… Dans le Washington Post, jeudi, John Kerry s’était déjà ému des « dangers énormes » que pourrait engendrer la fonte de la calotte glaciaire du Groenland. « Ces dangers qui s’accumulent et le fait que ce sont des régions sauvages et immaculées qui sont affectées, devraient peser sur notre conscience », ajoutait-il.

L’acidification des océans, particulièrement celui de l’Arctique, est un autre des sujets de préoccupation pour la présidence américaine, qui souhaite pousser les études en la matière. Elle veut également créer un réseau d’aires marines protégées pour contrer les effets négatifs d’une hausse attendue du trafic maritime à la faveur de la fonte des glaces. Et compte peser de tout son poids pour que l’essor économique en Arctique respecte les principes du développement durable. En Arctique comme ailleurs, « l’énergie propre, c’est la solution aux changements climatiques », martèle le secrétaire d’État. Interrogé sur le mouillage de navires militaires russes début avril sur le site d’une ancienne base norvégienne secrète en Arctique, M. Kerry a indiqué que les questions de sécurité militaire n’avaient pas leur place au Conseil de l’Arctique, alors qu’on pouvait en discuter dans d’autres forums comme le G20 ou le G7.

Tous les participants à la rencontre d’Iqaluit ont pris soin d’insister sur le bon esprit de coopération qui anime le Conseil de l’Arctique et ce malgré les tensions actuelles avec la Russie. « Il n’est pas dans notre intérêt que cette coopération soit perturbée », a indiqué Leona Aglukkaq, ministre canadienne de l’environnement, tandis que la ministre suédoise des affaires étrangères Margot Wallström soulignait combien elle était « constructive pour la paix et la stabilité dans la région ». Même le ministre russe a insisté sur le fait que la coopération en Arctique « se doit de continuer et de se renforcer, malgré les circonstances extérieures… Il n’y a pas de place pour des tensions en Arctique » !