Éditorial. Apprendre à parler l’européen

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C’est devenu une habitude. Depuis l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, on nous rabâche que cette fois-ci, ça y est, la confiance est rétablie entre Paris et Berlin. Surmontant ensemble les épreuves de l’histoire récente – attentats contre Charlie Hebdo, guerre en Ukraine ou crash de l’Airbus de Germanwings –, les deux dirigeants auraient enfin noué ce lien personnel capable de transcender l’Histoire, celui qui fait ressurgir ces images rassurantes : Adenauer-de Gaulle, Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl…

Evidemment, on a tous envie de croire à cette aimable fable. Sauf qu’elle appartient au passé. L’Europe est sortie depuis longtemps de son axe traditionnel. Faute de volonté politique. Faute d’envie. Faute de projets communs. Angela Merkel est sans aucun doute la dirigeante la plus puissante d’Europe mais, finalement, celle-ci l’intéresse peu. François Hollande, lui, à défaut de servir l’Europe, veut surtout qu’elle ne le desserve pas.

De petits mensonges en grandes omissions, le couple a appris à jouer la comédie. Le voilà rattrapé par la réalité. L’affaire des écoutes allemandes de dirigeants français pour le compte de la NSA montre les limites de leur amitié. L’autre révélation – l’Allemagne participe à la guerre des drones aux côtés des Etats-Unis – montre qu’à Berlin on préfère l’alliance sans faille avec Washington, seul véritable centre du monde. “Dans chaque ami, il y a la moitié d’un traître”, assurait l’essayiste Rivarol. Mais peut-on parler de trahison quand les idéaux européens se sont eux-mêmes évanouis ?

La France aurait tort de regretter son idylle passée avec l’Allemagne : n’a-t-elle pas, en prévoyant la suppression des classes bilangues dans le cadre de la réforme du collège, montré son peu d’intérêt pour son voisin ? Peut-être est-il temps de se souvenir des réflexions d’Aristide Briand, peu après la signature des accords de Locarno, en octobre 1925, avec l’Allemand Gustav Stresemann, visant à assurer la sécurité collective en Europe : “J’y suis allé, ils y sont venus, et nous avons parlé européen. C’est une langue nouvelle qu’il faudra bien que l’on apprenne.*”

* L’Ordre européen du XVIe au XXe siècle, Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 1998.