France. Expatriation : le bonheur dans le pré normand ?

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Un euro le mètre carré de terrain constructible en Normandie : l’offre est alléchante pour bien des Britanniques. Pourtant, avant de se lancer, il faut parfois se méfier du fameux French way of life.

Vous aimeriez vous installer en France pour un prix défiant toute concurrence ? Champ-du-Boult vous tend les bras : ce village de 388 habitants, en plein bocage normand, est apparemment si peu convoité que le maire invite de jeunes familles britanniques à y commencer une nouvelle vie en investissant 1 euro par mètre carré de terrain. C’est sans aucun doute l’affaire foncière de la décennie. A l’heure actuelle, dans cette région, les terrains à bâtir tournent plutôt autour de 55 euros le mètre carré. Dans le Sud, on est plus près des 350 euros – mais pour cette somme on a le soleil, la Méditerranée et les crimes de la pègre.

Cette liquidation normande équivaut à obtenir pour 6 000 euros un bien évalué un peu moins de 340 000 euros. C’est aussi, de toute évidence, le signe d’un désespoir qui ne s’abat pas exclusivement sur la Normandie. Dans toute la France, les régions les plus reculées sont très touchées par l’exode rural (les Français parlent aussi de désertification*). La Lozère, à l’extrémité sud du Massif central, est sans doute la région de France la plus courue, la plus néo-rustique, mais il n’en reste pas moins que les Lozériens sont plus nombreux à Paris qu’en Lozère.

Les maires français, comme Patrick Madeleine à Champ-du-Boult, sont évidemment très préoccupés par ce problème. Ils ne veulent pas présider aux destinées de communes mortes. Le système français de pouvoir local, terriblement coûteux, a cela de bon qu’il permet de lutter contre le phénomène. De nombreuses municipalités proposent des boutiques, gratuitement, pour inciter les gens à tenir l’épicerie, la boulangerie ou le café du village. A Sornac, au fin fond du très bucolique département de Corrèze, la mairie a repris la station d’essence, cherche à gérer la boucherie et la pharmacie, et est allée chercher son médecin en Roumanie.

Parler correctement français

On le voit, l’affaire exceptionnelle de Champ-du-Boult est dans l’air du temps*. Force est d’avouer que l’offre est alléchante à l’heure où la livre sterling est très forte par rapport à l’euro. Mais faut-il se laisser tenter pour autant ? Si vous le faites, chers compatriotes, ayez plusieurs choses à l’esprit. Tout d’abord, ne vous précipitez pas sur les lots proposés. Je ne doute pas que M. Madeleine soit aussi franc qu’un camembert, mais ce n’est pas le cas de tous les vendeurs de terrain. Assurez-vous que le lot ne soit pas situé dans une ancienne décharge, ou en zone inondable. Nous étions sur le point de signer quand quelqu’un – pas le vendeur, évidemment – nous a conseillé de vérifier le cadastre.

Le terrain était effectivement classé en zone inondable. Ensuite, vous aurez besoin d’un notaire qui non seulement parle anglais, mais soit au fait des différences entre droit britannique et droit français. Attention aussi à ce que votre entrepreneur ne fasse pas faillite en cours de route. C’est ce qui nous est arrivé. Quant aux artisans que nous avons embauchés par la suite, ceux qui étaient honnêtes étaient incompétents et ceux qui étaient compétents étaient souvent douteux. Notre plombier nous a annoncé de but en blanc que, si nous en avions besoin, il pouvait nous fournir des fusils-mitrailleurs. Finalement, nous nous en sommes bien sortis, et pour vous ce sera pareil, il n’y a pas de raison. Alors à vous la belle vie ! Vous avez lu tous les livres. Vous savez tout sur les villages, les boutiques familiales, les bars-tabacs avec les vieux qui tapent le carton, le club de Scrabble, les fêtes, les marchés, les concours de loto à Noël, le pèlerinage annuel à Lourdes. Vous trouverez peut-être même des gens qui laissent leur porte ouverte. Pourtant, il reste des conditions.

Pour entamer une nouvelle vie dans la campagne française, vous devez pouvoir parler français – si ce n’est couramment, du moins correctement. “En ne parlant pas français, vous passerez à côté de tant de choses !” fait valoir Laurence Boxall, directrice du magazine anglophone Languedoc and Provence Sun. “Le maquis administratif est déjà touffu pour les Français, mais si vous ne parlez pas la langue il deviendra inextricable.” Et, bien sûr, vous vous ferez arnaquer par les artisans. De même, le français est indispensable pour travailler. “Ceux qui réussissent sont ceux qui se préparent”, souligne Laurence Boxall.

Elle cite le cas d’un banquier qui, avant de quitter la Grande-Bretagne, a appris le français, s’est recyclé comme professeur d’anglais et a immédiatement trouvé un emploi d’enseignant dans le sud de la France. Avant de se faire un réseau et de finir dans l’agence bancaire locale. Soyez donc prêt à travailler dans les services à la personne, le tourisme ou l’hôtellerie-restauration : ce sont les secteurs qui recrutent. Créer son entreprise reste un vrai casse-tête en France, plus qu’en Grande-Bretagne. Ce n’est pas pour rien que tant de jeunes Français parmi les plus brillants sont à Londres.

Boissons et paysages

Après avoir appris la langue, l’idéal est de venir avec des enfants d’âge scolaire – idéalement en primaire. Nous avons rencontré tous nos premiers amis à la sortie des classes. Mais attention, même les plus gentils ne sont pas forcément très ouverts au premier abord. C’est la raison pour laquelle les Français ont gardé le “tu” et le “vous”. A en croire Boxall, si l’expatrié débarque “sans connaître le français, avec peu d’argent et trop longtemps après l’âge de la retraite”, il court à la catastrophe. “Cela peut aller pendant une dizaine d’années, puis on commence à avoir des ennuis de santé, on a laissé derrière soi sa famille, ses amis, son univers familier. Cela peut être terrible.”

Mais d’après son expérience – et la mienne – ce n’est généralement pas le cas. La France vous attend. La nourriture et la boisson y sont (encore un peu) meilleur marché qu’en Grande-Bretagne. Le paysage est immense et souvent vide. La vie peut encore se concentrer sur l’environnement local, et non sur la dernière appli ou émission de télé. Même les personnes âgées peuvent déambuler dans le centre-ville à minuit sans forcément se faire vomir dessus. Et, malgré ce que vous avez entendu, les Français nous aiment. Comme le dit Laurence Boxall, “les Britanniques ajoutent à la joie de vivre”. Je n’en ai jamais douté une seconde.

—Anthony Peregrine
Publié le 29 avril 2015 dans The Daily Telegraph Londres