À Athènes, les start-up fleurissent, envers et contre tout

De jeunes entrepreneurs tirent parti des ressources et des turpitudes de leur pays pour fonder de petites entreprises technologiques astucieuses et pleines d’avenir.

Lorsqu’un jeune sorti d’école veut lancer sa start-up à partir d’une idée géniale, il passe souvent des mois à la présenter aux investisseurs, aux incubateurs, et à sa famille. Nikos Drandakis, lui, a dû toquer inlassablement aux portes des taxis d’Athènes. Son application, Taxibeat, est une sorte d’Uber des taxis. Elle permet aux clients de disposer d’un moyen sûr de choisir leur taxi d’après les services qu’ils proposent, les langues qu’ils parlent, et une note accordée par les passagers. Son but: garantir des chauffeurs fiables dans une ville où ils ne le sont pas toujours.

Les chauffeurs athéniens n’ont pas tout de suite été convaincus par Nikos Drandakis. En 2011, au lancement du projet, sa débrouillardise d’entrepreneur lui a toutefois permis de recruter 85 premiers conducteurs. Aujourd’hui, ils sont 3.000 et la liste d’attente continue de s’allonger. Depuis son lancement, Taxibeat a levé 8 millions d’euros et figure parmi les plus belles réussites des start-up grecques. Si l’application n’a pas bien marché à Paris ou à Oslo, elle connaît donc un franc succès à Athènes mais aussi dans des marchés émergents comme le Pérou ou le Mexique.

À première vue, la Grèce, qui lutte pour sa survie économique, n’est pas le pays rêvé pour démarrer sa start-up. Les démarches administratives sont lourdes, la conjoncture déprimée. Pourtant, de jeunes entrepreneurs comme Nikos Drandakis tirent parti des ressources et des turpitudes de leur pays pour fonder de petites entreprises technologiques astucieuses et pleines d’avenir.

Workable, qui développe un logiciel innovant de recrutement pour les entreprises, a bénéficié de la paralysie du marché de l’emploi grec pour démontrer tout son potentiel. Une autre société en vue, Incrediblue, s’appuie sur les deux forces de la Grèce: le tourisme et le nautisme. C’est un «AirBnb pour les yachts», un site de location de bateaux de plaisance entre particuliers.

Derrière ces trois entreprises, le même fonds d’investissement: Openfund. Cet organisme grec fait partie des quatre fonds locaux alimentés en majorité par le Fonds d’investissement européen. «Nous avons créé Openfund en 2009 pour résoudre les problèmes que les entrepreneurs grecs avaient rencontrés jusqu’alors , affirme George Tziralis, un des cofondateurs du fonds. Ils manquaient de financements initiaux et de conseils de la part de personnes expérimentées.»

Openfund aide principalement au démarrage des sociétés. Comme lui, de nombreux acteurs cherchent à rendre le climat grec favorable aux jeunes sociétés technologiques. Corallia, un organisme qui va bientôt fêter ses 10 ans, est à la pointe de ce mouvement. Ce pôle technologique du nord d’Athènes est financé par l’Union européenne et le gouvernement grec. Il mène des actions, dès le lycée, pour favoriser l’installation d’entreprises technologiques dans le pays.

Corallia se concentre sur trois thématiques: la microélectronique, l’aéronautique spatiale et les jeux vidéo. Chaque thème est l’objet d’un «cluster», un groupement de plusieurs petites entreprises associées à des sociétés plus importantes. «Nous avons beaucoup aidé à la formation d’une scène technologique locale, se félicite Julia Phoca, responsable du gi-Cluster, qui concerne les jeux vidéo. Nous cherchons à faire revenir les cerveaux grecs chez eux, et à préparer le terrain pour les générations à venir.»

Son cluster, créé en 2012, regroupe une quarantaine d’entreprises, qui s’intéressent par exemple à la réalité virtuelle, aux jeux sérieux et à la «ludification», la transposition des mécanismes du jeu vidéo à d’autres domaines. La structure héberge le studio Culturplay, qui développe un jeu de gestion basé sur la vie intellectuelle d’Athènes au Ve siècle avant Jésus-Christ. SimpleApps, une des fiertés de la directrice du cluster, s’est inspiré des jeux vidéo pour créer une application de gestion à destination des petits hôteliers indépendants dont la Grèce regorge.

Pour des sociétés technologiques qui ont des concurrents aux États-Unis ou en Europe de l’Ouest, le marché de l’emploi grec peut se révéler une aubaine. Les développeurs sont qualifiés et peu chers. D’après Nikolas Ioannidis, qui vient de lancer sa start-up Qrator, un développeur expérimenté touche entre 1.500 et 2.000 euros par mois. Un chiffre qui triple, au moins, dans la Silicon Valley. «Le meilleur modèle est d’avoir l’équipe technologique en Grèce et le marketing et l’administration aux États-Unis», estime l’entrepreneur. Son site, une plate-forme qui lie des créatifs à des consommateurs, a convaincu des business angels australien, américain et canadien. À une condition: l’équipe de Qrator est installée dans un immeuble cossu du centre d’Athènes, mais le siège financier de l’entreprise est basé à Londres.

Cela ne gêne personne en Grèce: il faut avoir son siège financier hors du pays pour lever de l’argent venu de l’étranger. «Nous incitons les entreprises que nous accueillons à établir leur siège financier à Londres» , admet sans sourciller Julia Phoca. Avant 2009, cela aurait pu être controversé. «Mais aujourd’hui, c’est impossible de lever de l’argent sur le territoire grec. Si les sièges restaient à Athènes, on n’arriverait pas à créer de l’emploi.»

Si des sociétés comme Taxibeat commencent à faire leur trou, la communauté des start-up grecques est encore émergente et ne prétend pas inverser la situation du pays. Elle est aussi dépendante de l’Union européenne, qui soutient les initiatives locales. Mais dans une économie en berne et tenue à la gorge, ces jeunes sociétés tournées vers l’international redonnent du dynamisme au pays, en jouant sur ses forces et ses faiblesses. À en croire Julia Phoca, «les Grecs sont un peuple très ingénieux. Vous leur donnez un problème, et ils trouvent une solution que vous n’attendiez pas».

Le Figaro 08/06/2015