A Paris, 15 % des studios affichent des loyers abusifs

Un peu plus de 700 euros par mois pour un « charmant studio de 13 m2, à saisir » ose une petite annonce… Les loyers prohibitifs des petites surfaces ne sont pas une nouveauté à Paris, mais l’ampleur du phénomène est surprenante. Selon une étude réalisée pour Le Monde par le site MeilleursAgents, 15 % des studios proposés à la location dans la capitale depuis le début de l’année affichent des loyers de plus de 41,61 euros le m2.

Nous n’avons pas choisi ce prix au hasard, c’est le seuil au-delà duquel le loyer est défini comme abusif pour les biens de moins de 14 m2. En 2012, pour éviter les montants excessifs exigés par certains bailleurs, Benoist Apparu, alors ministre du logement, avait en effet introduit cette notion de loyer abusif. Au-delà de 41,61 euros par m2, le propriétaire doit, en théorie, s’acquitter d’une taxe.

Les chiffres que nous publions aujourd’hui montrent que cela n’a pas empêché les dérives de perdurer. Sur les 50 000 annonces de locations à Paris étudiées par MeilleursAgents entre janvier et mai 2015, un peu plus de 14 000 concernent des T1, dont 14 % ont une surface inférieure à 14 m2. Parmi ces derniers, près de la moitié (47 %) dépasse le seuil de 41,61 euros le m2.

En prenant en compte l’ensemble des studios (donc même ceux au-delà de 14 m2), 15 % des biens entrent dans cette catégorie. Dans certains quartiers du 6e arrondissement de Paris, comme à Saint-Germain-des-Prés ou Odéon, 40 % des annonces sont concernées. C’est plus d’un studio sur quatre dans 27 autres zones de la capitale : Madeleine, Palais-Royal, Arts-et-métier, Bonne nouvelle…

« Pas de volonté politique »

Ces annonces ne sont pas seulement publiées sur des sites de location entre particuliers. On les observe aussi sur les grands portails spécialisés et même sur celui de la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim). « Je le regrette, mais ces niveaux de loyers dramatiques s’expliquent aussi par un manque cruel d’offres de logement », tente de justifier Jean-François Buet, le président de la Fnaim.

En fait, si la « taxe Apparu » n’a rien changé, c’est qu’elle comporte une faille : c’est au propriétaire de se déclarer au fisc et de remplir un formulaire ad hoc…

Encadrement des loyers

En attendant, l’encadrement des loyers permettra-t-il de mettre le holà à ces abus  ? Selon les chiffres compilés par MeilleursAgents, 40 % des T1 sont supérieurs au loyer maximum de chaque quartier calculé par l’Observatoire des loyers en région parisienne (OLAP).

Mesure phare de la loi ALUR (pour l’Accès au logement et un urbanisme rénové), l’encadrement des loyers entrera en vigueur cet été à Paris « à titre expérimental », pour reprendre l’expression de Sylvia Pinel, la ministre du logement. Ce dispositif prévoit qu’à la signature d’un nouveau bail ou en cas de renouvellement, le loyer d’un logement ne pourra pas excéder de 20 % un loyer de référence, ni lui être inférieur de 30 %.

Ce loyer de référence sera fixé par le préfet d’Ile-de-France à partir du loyer médian calculé par l’OLAP. Mais avant d’entrer en vigueur, l’encadrement doit encore être complété par un décret essentiel, précisant les cas où un complément de loyer (au-delà de la majoration de 20 %) sera accepté, ce qui revient à accepter des loyers libres.

Ce décret, qui doit être communiqué dans les prochains jours par le ministère du logement, est attendu avec impatience. Dans une version de travail que Le Monde s’est procuré, le caractère « exceptionnel » des biens échappant à l’encadrement est réaffirmé (même si le terme, qui avait été retoqué par le Conseil constitutionnel, n’est plus employé).

« Lobby des constructeurs »

Surtout, le gouvernement déciderait d’accorder un passe-droit aux propriétaires de logements neufs. Ceux qui mettent en location un logement âgé de moins de deux ans pourraient pratiquer les loyers de leur choix. « Le gouvernement a probablement été sensible au lobby des constructeurs, commente David Rodrigues, responsable juridique à l’association de consommateurs CLCV. Mais une telle mesure poserait beaucoup de questions. Par exemple, que se passera-t-il au bout de dix ans ? Le bailleur pourra-t-il continuer à pratiquer des loyers libres ? »

Cet avantage accordé aux logements neufs renforcerait l’idée que l’encadrement des loyers constitue, dans l’esprit du gouvernement, une mesure temporaire censée prendre fin lorsque les excès observés en zone tendue auront été corrigés.

Quoi qu’il en soit le texte devra être très précis pour éviter une multiplication des contentieux. « Une période de rodage de deux ou trois ans est inévitable, le temps de constituer une jurisprudence, estime David Rodrigues, responsable juridique à l’association de consommateurs CLCV. Le flou juridique pourrait inciter de nombreux locataires à contester le montant de leur loyer auprès de la commission départementale de conciliation, provoquant un engorgement du dispositif. »

Le Monde 10/06/2015