Grèce. Quelqu’un a-t-il un plan

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Les pompiers qui font la manche, un ministère des Finances déserté, et personne pour expliquer à l’éditeur économique de la chaîne britannique Sky News comment la Grèce pourrait se redresser. Reportage.

“Paradoxe” est le premier mot grec qui vient à l’esprit pour décrire une situation étrangement contradictoire, contraire au but recherché. Aujourd’hui, en Grèce, où qu’on tourne son regard, les paradoxes abondent : les renfloueurs du pays exigent qu’Athènes s’attaque à la corruption et lutte contre le marché noir, mais l’austérité ne fait qu’inciter les pompiers et les policiers à se faire payer en dessous-de-table. Les créanciers de la Grèce veulent que le pays repousse l’âge de la retraite ; pourtant, dans les faits, sur les cinq dernières années, l’âge moyen de la retraite a reculé du fait que le chômage augmentait et que les salariés licenciés prenaient leur retraite au lieu de chercher un nouvel emploi.

Mais en définitive tout se ramène à la croissance économique. La Grèce est confrontée à une crise plus grave que n’en a jamais connu une économie développée. Le revenu total généré par le pays et son peuple s’est effondré d’un quart. Loin de s’exprimer par une chute du taux de change, comme cela pourrait être le cas au Royaume-Uni, le choc de la déflation a été absorbé par le peuple grec. C’est ce qui se passe lorsqu’on est dans un système de taux de change fixes. Et c’est aussi ce qui explique le taux de chômage encore très élevé, l’effondrement des salaires et toutes les coupes budgétaires que l’Etat a dû imposer.

On a du mal à mesurer l’ampleur du phénomène tant qu’on ne s’est pas plongé dans les chiffres. Prenez par exemple le budget des hôpitaux dans tout le pays. Pendant les quatre premiers mois de l’année dernière, les établissements hospitaliers ont été financés à hauteur de 670 millions d’euros. Sur les quatre premiers mois de cette année, ils n’en ont reçu que 43 millions. Soit une réduction de 94 %.

Caisses vides

Theodoros Giannaros, le directeur de l’hôpital Elpis (“Espoir”) d’Athènes*, vient de perdre son fils, qui s’est suicidé il y a deux semaines. Giannaros brosse le tableau d’un pays qui “a touché le fond”. “Les gens meurent”, ajoute-t-il. Quand on se dirige vers le nord d’Athènes, sur la route qui mène à Lamia, on trouve encore d’autres témoignages de cet assèchement des financements. Plus on s’enfonce dans la campagne, plus il saute aux yeux : de grandes routes, des ponts restent en chantier, abandonnés.

Il y a quelques années, l’Etat donnait à Lamia une enveloppe de 65 millions d’euros par an pour faire construire ces routes. L’année dernière, la subvention n’était plus que de 12 millions d’euros. Depuis le début de l’année, Lamia ne reçoit pratiquement plus rien. En fait, la situation est encore pire : chaque région du pays a reçu l’ordre d’Athènes de rendre à la banque centrale toutes les liquidités qui lui resteraient afin d’aider l’Etat à rembourser ses dettes. Résultat, les ouvriers qui travaillent sur ces routes ne sont pas payés. Actuellement, les sociétés terminent quelques ponts pour éviter qu’ils ne soient emportés cet hiver, et laissent les routes non goudronnées en l’état, espérant que l’Etat finira par payer ce qu’il doit.
J’ai connu des pays en développement confrontés à des crises budgétaires et à un assèchement du marché des capitaux. Mais je n’avais jamais vu une économie développée, comme celle de la Grèce, se retrouver ainsi littéralement à court d’argent. C’était la première fois que je visitais un hôpital dont le directeur vous dit qu’en gros il va devoir traiter des patients alors qu’il n’a pas d’argent : les gens se voient refuser des traitements parce qu’ils n’ont pas les moyens de les payer, et l’hôpital non plus. C’est une expérience perturbante – d’autant plus que l’équipe au pouvoir a l’air un peu dépassée par les événements.

D’habitude, quand on est chargé de l’économie ou de la politique dans un journal, on imagine que quelqu’un, quelque part, sait ce qui se passe et a un plan. En Grèce, avec la meilleure volonté du monde, je ne crois pas qu’un tel plan existe, tout simplement. Le jeudi 4 juin, la Grèce a demandé au Fonds monétaire international (FMI) de retarder un remboursement qui venait à échéance le lendemain et de lui laisser jusqu’à la fin du mois. Or, quelques heures avant l’annonce de cette demande, j’ai demandé au ministre de l’Economie, Georgios Stathakis, si le remboursement serait fait.

Il m’a répondu qu’il en était “certain”. Peut-être s’est-il trompé. Peut-être n’est-il pas au courant. Peut-être les choses ont-elles changé. On peut supposer que le FMI lui-même a été laissé dans l’ignorance jusqu’à la dernière minute. Mais il est presque impossible de comprendre ce qui se passe dans un pays où les ministres les plus importants du gouvernement semblent eux-mêmes ne pas en avoir la moindre idée.

Perplexité

J’ai passé un certain temps au ministère des Finances. Il y règne une ambiance plutôt surréaliste. Dans un coin du bâtiment, on peut voir le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, qui reçoit un flux constant de visiteurs. Mais, dès qu’on a quitté son bureau et qu’on a tourné dans le couloir, tout redevient d’un calme sinistre. Je m’attendais à ce que les bureaux fourmillent de fonctionnaires, travaillant d’arrache-pied sur des projets de restructuration de la dette et sur de nouvelles propositions à lancer aux créanciers du pays.

Au lieu de cela, les lieux étaient presque déserts : les pièces vides succédaient aux pièces vides, les bureaux et les chaises prenaient la poussière. Tous ces braves gens étaient-ils à Bruxelles ? Ou partis déjeuner ? Ou bien étaient-ils tous victimes du programme d’austérité grec ? On reste perplexe. Cette lutte pour assurer le gagne-pain des pompiers, de la police, des médecins, des enseignants, où est-elle menée ? Par quels moyens ? Comment va-t-elle se terminer ? J’aurais aimé pouvoir répondre à ces questions après une semaine passée en Grèce. Mais, à mon retour, je crains de ne pas être plus avancé.

—Ed Conway
Publié le 5 juin 2015 dans Sky News Londres