Technologie. “Dans un siècle, nous vivrons sur la Lune”

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Le 6 novembre 2012, la station spatiale internationale a volé devant la face de la lune pendant environ 15 min. NASA/ECHEVERRIA Fernando

Nous explorons Mars et les confins du Système solaire. Quelle forme va prendre la conquête spatiale ? Pedro Duque, qui a été le premier astronaute espagnol, décrit un avenir pas si lointain.

Que ferons-nous dans l’espace d’ici un siècle ?
Pedro Duque – Beaucoup de choses. Je suis sûr que nous pourrons entreprendre des voyages qui nous paraissent impensables aujourd’hui. La recherche avance si vite qu’on a du mal à prévoir tous les progrès qui auront été faits dans cent ans. Nous aurons déjà voyagé sur Mars, et je dirais même assez souvent. Il est pratiquement sûr que des hommes vivront sur la Lune, exerçant des activités que la science-fiction a déjà annoncées : extraction de minéraux, utilisation des ressources…

Entrez un peu dans les détails.
Sur la Lune, il est fort possible qu’il y ait une colonie stable. Si les coûts de transport vers la Terre cessent d’être prohibitifs, on pourra même lancer l’exploitation minière. Et si la rentabilité économique est au rendez-vous, les choses s’accéléreront.

Mais cela demanderait de gros moyens humains.
Pas nécessairement. Nous aurons suffisamment avancé dans l’automatisation, les machines pourront prendre des décisions simples, si bien que nous n’aurons pas besoin d’une grande quantité de gens. Juste de quoi superviser les robots.

Et quel genre de mines trouvera-t-on sur notre satellite ?
On extraira toutes sortes de minéraux, sans parler de l’immensité du territoire encore inexploré. Mais la Lune renferme aussi de grandes quantités d’hélium 3, un gaz qu’on ne trouve pas sur terre, grâce auquel on pourrait, selon les physiciens, construire des centrales nucléaires presque sans déchets radioactifs. Les possibilités sont énormes. Si tel est le cas, il faudra une intense circulation entre la Terre et la Lune. S’a­gira-t-il de voyages annuels ? mensuels ? Si nous trouvons sur la Lune quelque chose qui puisse se vendre sur terre ou qui nous serve pour certaines recherches, les voyages seront fréquents. Je n’ai rien contre le fait qu’ils soient mensuels ou bimensuels, voire moins espacés.

Mars sera-t-elle elle aussi une destination prisée ?
D’une part, il faudra attendre des années avant qu’on puisse démontrer la possibilité de vivre sur Mars, une planète aux caractéristiques très différentes de la Terre en ce qui concerne la gravité, la température, la pression atmosphérique… Et d’autre part, nous avons les limitations liées aux carburants, tant pour les lanceurs que pour les vaisseaux. Tant que ces deux questions n’auront pas été réglées, il y aura des expéditions, bien sûr, mais je ne suis pas très sûr qu’il puisse exister un trafic fréquent entre Mars et la Terre.
Vous parliez du carburant des fusées…
Et aussi du vaisseau. C’est le principal problème à résoudre si l’on veut révolutionner les voyages dans l’espace. Il faudra fabriquer des moteurs moins gourmands en énergie qui puissent atteindre des vitesses raisonnables, afin qu’on ne mette pas des années à arriver à destination. Avec la technologie actuelle, un voyage sur Mars dure entre six et neuf mois, parce que nous ne pouvons aller qu’à environ 30 000 km/h. Mais même si aujourd’hui nous envoyons des sondes télécommandées ou dotées de systèmes d’intelligence artificielle, à terme nous voudrons des vaisseaux plus grands pour transporter davantage de monde, pour emporter des outils d’extraction ou rapporter des échantillons. Sans parler des voyages au long cours, vers des planètes plus éloignées de la Terre, ou si nous voulons atteindre d’autres galaxies. Les vols interstellaires relèvent encore de la science-fiction.

Pourquoi ?
Parce que les distances interplanétaires sont si gigantesques que ce n’est même pas la peine de calculer combien de temps nous mettrions avec les carburants actuels pour rejoindre Andromède, la galaxie la plus proche de la nôtre. Ce serait des durées absurdes, plusieurs millions d’années. Il faut d’abord réfléchir à la manière de s’y rendre. On aborde ici les grands défis expérimentaux. Toute la question est là. Il existe d’ores et déjà d’autres options pour la navigation des vaisseaux, comme les moteurs ioniques. Nous savons qu’ils fonctionnent, mais jusqu’à présent ce sont de tout petits modèles. Les grands sont toujours en phase expérimentale. Le problème de ces moteurs, c’est qu’il leur faut une source d’énergie très importante. Une solution intéressante serait d’obtenir les matières premières de la Lune ou des astéroïdes. On pourrait y installer une centrale nucléaire, voire plusieurs en fonction des besoins.

Vous imaginez dans quelques années une centrale nucléaire sur la Lune ?
Oui, bien sûr. Reste à savoir comment transporter l’électricité. Mais il existe déjà des centrales solaires en orbite autour de la Terre. On acheminerait l’électricité par ondes radio, des micro-ondes à forte puissance. Et ici, sur la Terre, il faudrait placer des antennes réceptrices qui seraient capables de supporter une telle puissance. Mais évidemment il faudrait veiller à ne pas faire frire ceux qui seront à côté de l’antenne… Tout serait bien plus propre et rentable si la fusion froide devenait enfin une réalité. Et je pense que dans un siècle ce sera possible. Avec cette énergie surpuissante et sans danger, la capacité de propulsion des fusées serait considérable. Si nous établissons des bases sur des satellites ou des planètes, ou sur les lunes de ces planètes, nous pourrons faire des sauts de puce dans l’espace vers des destinations que l’on n’imagine même pas.

Vous avez toujours dit que vous étiez convaincu qu’il y avait de la vie ailleurs dans l’Univers.
On ne peut pas concevoir que les conditions sur terre soient uniques, alors que nous savons qu’il existe des millions de planètes et d’étoiles. Même l’Agence spatiale européenne (ESA) prévoit pour les prochaines années de rechercher des planètes [dans le cadre de la mission Plato]. Presque toutes les étoiles ont des planètes. Tant dans notre galaxie que dans toutes les autres il existe autant de planètes que de grains de sable sur une plage. Dès lors, il y a quelque chose d’absurde à imaginer qu’une planète aussi petite que la Terre soit la seule à avoir engendré la vie. Il s’agit peut-être de tout autres formes de vie, c’est difficile à concevoir… Mais nous avons quatre ou cinq destinations où il faut que nous allions dès maintenant, avant de pouvoir explorer des planètes en dehors du Système solaire.

Quelles sont ces quatre ou cinq destinations ?
Mars, avant tout, parce qu’on l’a encore très peu explorée. Et ses deux satellites, Phobos et Deimos. Et aussi les lunes de Jupiter, comme Ganymède ou Europe, la plus petite, et sur laquelle [l’écrivain de science-fiction] Arthur C. Clarke a prédit qu’il pourrait y avoir de la vie. Et celles de Saturne, comme Titan et Rhéa. Sur Titan, justement, il existe d’énormes quantités de méthane qu’on pourrait utiliser pour le ravitaillement en carburant.

Faut-il être attentif aux signaux qui pourraient être émis depuis d’autres planètes ou d’autres galaxies ?
Cela fait de nombreuses décennies que nous écoutons l’Univers dans l’espoir de recevoir un signal, mais une fois que nous aurons repéré cent ou mille planètes pouvant héberger des formes de vie, nous pourrons orienter nos antennes plus précisément dans ces directions.

Les progrès de l’intelligence artificielle ont multiplié les possibilités de missions non habitées, comme Curiosity, actuellement sur Mars. Stephen Hawking disait : “Les missions avec des robots sont bien moins coûteuses et nous apportent plus d’informations, mais elles ne frappent pas autant les esprits et ne vont pas dans le sens de l’expansion de l’humanité vers l’espace, ce qui devrait être notre stratégie à long terme. Si nous voulons survivre encore un million d’années, nous devrons aller là où personne n’est jamais allé. Je crois que l’avenir de l’humanité passe par le voyage dans l’espace.” Qu’en pensez-vous ?
Je suis d’accord avec Hawking, sauf quand il dit que les petites sondes qu’on envoie apportent plus d’informations. Elles sont extraordinaires et elles ont apporté des connaissances magnifiques. Mais les sondes qu’on envoie actuellement font des mouvements minuscules, elles mettent plusieurs minutes à recevoir chacun des ordres qui leur sont transmis, en fonction de l’orbite, puis plusieurs minutes à envoyer la réponse, pour qu’ensuite on leur confirme l’ordre, etc. Ce n’est pas du tout la même chose que d’avoir un géologue qui atterrira sur la planète et qui en deux temps trois mouvements prélèvera les bons échantillons et repartira avec eux. Le plus efficace est d’associer les deux méthodes, parce que les nanotechnologies et autres progrès scientifiques ont amélioré de façon spectaculaire ces vaisseaux non habités. Les machines devront apprendre à réagir seules. Ce n’est plus qu’une question d’années. Et quand les systèmes d’intelligence artificielle seront devenus plus fiables, le type d’exploration que nous effectuerons sur des sites hostiles où l’on ne peut pas envoyer d’hommes devrait varier considérablement. Mais je ne sais pas si nous arriverons à nous fier suffisamment aux systèmes d’intelligence artificielle pour leur laisser le champ libre.
Les satellites nous servent-ils à quelque chose face au changement climatique ou à la détérioration de la Terre ?

Ils nous ont déjà beaucoup servi, puisque la seule manière d’étudier la Terre dans son ensemble est de le faire de l’extérieur. La détérioration de la Terre et le changement climatique sont des problèmes très graves, et les satellites peuvent nous aider considérablement à lutter contre leurs effets, surtout en nous montrant quels pays les provoquent. Je crois qu’à l’avenir nous allons devenir bien plus vigilants. Nous aurons des satellites policiers. De même que nous avons des tours de surveillance dans les forêts pour voir si de la fumée apparaît à tel endroit et maîtriser les feux qui sont allumés, nous aurons des satellites qui permettront – avec le contrôle d’un organisme mondial – de freiner les pays qui pollueront au-delà des limites autorisées.

Et les petits-enfants de nos petits-enfants, pourront-ils séjourner dans un petit hôtel, tout là-haut ?
Oui, bien sûr. Dans un siècle, l’une des nouvelles stations spatiales sera sûrement un hôtel. Les coûts devront baisser, évidemment. Vous pouvez être sûr que cela se fera dans un avenir plus proche qu’on ne l’imagine.

—Propos recueillis par José María Izquierdo
Publié le 17 mai  2015 dans El País Semanal (extraits) Madrid

Pedro Duque

●●● Ingénieur aéronautique, Pedro Duque (né à Madrid en 1963) a réalisé son rêve le 29 octobre 1998 en s’envolant vers l’espace. C’était à bord de Discovery, en compagnie de John Glenn, l’astronaute qui a piloté la première mission habitée de la Nasa en 1962. Cinq ans plus tard, il répétait l’expérience, cette fois-ci vers la Station spatiale internationale, où il a séjourné dix jours. Il est aujourd’hui à la tête du bureau des opérations de vol à l’Agence spatiale européenne, l’ESA. Il n’exclut pas de retourner “là-haut” un jour.