Ces Français au chevet de leurs proches

Courses, ménage, formalités… 11 millions de personnes aident une personne de leur entourage. Un phénomène trop méconnu.

Ils sont les piliers d’une société qui vieillit. Sans bruit, ils consacrent une partie de leur emploi du temps à aider un parent, un conjoint mais parfois aussi un enfant dans une situation de perte d’autonomie, de maladie ou de handicap.

Ces invisibles que l’on appelle les «aidants» familiaux et qui passent plusieurs heures par jour ou par semaine au chevet d’un proche seraient 8,3 millions au bas mot (enquête conduite par la DREES en 2008). Leur nombre s’élèverait aujourd’hui à près de 11 millions, selon une estimation issue du dernier baromètre de la Fondation April sur les aidants que nous dévoilons.

Paradoxalement, ce phénomène de grande ampleur, amené à croître de manière exponentielle alors qu’un tiers de la population affichera plus de 60 ans en 2050, reste méconnu. La nouvelle loi sur l’adaptation de la société au vieillissement, entrée en vigueur début 2016, et qui leur reconnaît pour la première fois un statut, n’a pas sorti les aidants de l’ombre. Ni la journée des aidants, organisée tous les 6 octobre depuis 2010. Ainsi, 68 % de l’échantillon de 2 008 français (dont 385 aidants) sondés par BVA pour la Fondation April n’ont jamais entendu parler de ce rôle. Et si la prise de conscience a progressé depuis un an chez les aidants eux-mêmes, 58 % disent encore ignorer ce terme en 2016.

« Être aidant d’un proche, ce n’est pas simplement du temps. L’esprit est mobilisé par la personne que l’on aide. Cela ne se quantifie pas.»

Nathalie, maman et aidante de Léo, 11 ans

La majorité de ces proches dévoués mènent de front travail et entraide (58 %) et n’ont pas encore atteint la cinquantaine (46 %). Comme Marie, 47 ans, assistante de direction, qui veille sur sa maman aujourd’hui âgée de 77 ans et devenue incapable de faire ses courses, son ménage ou de remplir ses papiers. «Cela dure depuis une dizaine d’années, confie Marie. Au fil du temps, ma mère est devenue de plus en plus dépendante et je ne me suis même pas rendu compte de l’ampleur que cela prenait. Au début, mes deux sœurs se relayaient avec moi à son chevet mais je me suis retrouvée seule. Quand on est la dernière à être là, on ne peut pas abandonner ce rôle…» Aujourd’hui, Marie consacre une à deux heures par jour à sa mère, généralement pendant le déjeuner. Des escapades qu’elle est parfois obligée de compenser en travaillant plus tard le soir ou le week-end. «Je ne peux pas faire plus, soupire-t-elle. Si elle n’arrive plus à faire sa toilette seule, je me ferai aider.»

Pour Nathalie, 45 ans, à la fois maman et aidante de Léo, un garçon de 11 ans porteur du syndrome CHARGE, une maladie génétique rare, la réorganisation est allée plus loin. Cette ancienne assistante commerciale a changé de vie pour pouvoir accompagner son fils à ses cinq rendez-vous de rééducation par semaine. D’aidante familiale, elle est devenue aidante professionnelle pour d’autres enfants handicapés et une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer.Un changement de vie qu’elle ne regrette ni ne magnifie. «Être aidant d’un proche, ce n’est pas simplement du temps, raconte Nathalie. L’esprit est mobilisé par la personne que l’on aide. Cela ne se quantifie pas. En tant que mère, je trouve cela normal mais il ne faut pas se leurrer, nous n’avons pas le même quotidien que tout le monde. Notre vie sociale et professionnelle est plus compliquée, pas toujours drôle.»

Si tous les aidants décrivent une organisation acrobatique au quotidien, 35 % vont jusqu’à regretter ne pas avoir assez de temps pour eux. Un quart d’entre eux évoquent également leur fatigue physique ou pointent la lourdeur des démarches administratives à effectuer. Ces proches dévoués se plaignent cependant rarement de leur sort. «Je ne suis pas une victime. M’occuper de ma mère, c’est un devoir moral mais aussi un choix. Je me sens utile, presque indispensable. Cela me fait du bien. Je peux dormir tranquille», lance Marie. Des sentiments partagés par Edgar dont le profil est pourtant bien différent. Ce jeune homme, conseiller commercial, fait partie de 6 % d’aidants de moins de 25 ans. Seul membre de la famille à vivre à Lyon, comme son grand-père de 94 ans, il lui rend visite près de huit heures par semaine pour discuter, partager un repas ou effectuer de menus travaux. «Ma vie s’organise en fonction de lui. Parfois, j’aimerais mieux sortir avec mes copains mais je vais voir mon grand-père car je dois remplir sa feuille d’impôt. Je ne peux pas partir en vacances sans avoir trouvé une solution avec mon père ou ma tante pour qu’il ne reste pas seul, raconte-t-il. C’est à la fois une obligation et un plaisir car nous partageons des moments privilégiés. Il me parle de sa vie, de notre famille. Nous avons un lien très fort.» 84 % des aidants décrivent eux aussi une relation renforcée avec la personne aidée. Plus de la moitié d’entre eux ressentent même des effets positifs sur leur moral. Comme une petite compensation au manque de formation, d’information, de soutien dont souffrent encore les aidants…

Le Figaro 05/10/2016