De quelle valeur travail parlons-nous ?

Une enquête fouillée et documentée sur les nouvelles formes de travail en ce début de siècle.

C’est un ouvrage que devraient lire tous les candidats à l’élection présidentielle de 2017, un ouvrage qui décrit « ce modèle social qui vient », celui où les pilotes de ligne de Ryanair paient parfois jusqu’à plus de 100.000 euros pour se former, où les employés sont payés au lance-pierre, où des cadres au forfait jours – cette invention de Martine Aubry pour flexibiliser le temps de travail après la loi sur les 35 heures – passent 70 heures au bureau par semaine sans paiement d’heures supplémentaires, où des étudiants remplacent des congés maternité comme stagiaires gratuits, où 80 % des autoentrepreneurs n’arrivent pas à joindre les deux bouts, où des travailleurs détachés des pays de l’Est font le tour de l’Hexagone, de chantiers en chantiers, sans que l’inspection du travail ait les moyens de vérifier quoi que ce soit. Bref, c’est l’histoire de la paupérisation du travail en ce début de XXIsiècle, travail pourtant censé être protégé par un Code de 3,8 kilos. Loin d’un brûlot gauchiste, voici une enquête documentée, chiffres à l’appui. Extraits.

Le forfait jours : « Et, subrepticement, le temps de travail est devenu la variable d’ajustement des sociétés sous tension, d’autant plus naturellement qu’il n’est pas mesuré. C’est même la seule chose qui curieusement ne le soit pas dans les entreprises, où tout est mesuré, chiffré, modélisé et intégré dans les grands systèmes informatiques, avec l’ambition de contrôler les coûts à toutes les étapes. »

Les « working poors » : « Au total, il y a peu ou prou 2.100.000 emplois qui coûtent à leurs employeurs entre 35 % et 80 % de moins que le salaire minimum. Un coût très bas, même s’il reflète sans doute la productivité des salariés ainsi employés, et qui explique que la France se soit tant développée dans des secteurs à bas salaires : la grande distribution, l’aide à domicile, les services aux entreprises, l’hôtellerie et la restauration. Pour eux, le SMIC n’existe plus. »

Les travailleurs détachés : « Les 163 Polonais qui travaillaient sur le chantier du réacteur nucléaire EPR de Flamanville de 2008 à 2012, dont Bouygues était le maître d’oeuvre, avaient été recrutés par la société Atlanco Rimec. Atlanco, quelle adresse ? Domiciliée à Lisbonne, elle recrute alors via 18 bureaux dans 9 pays européens, émet ses factures et se fait payer par ses clients à Dublin en Irlande où l’impôt sur les sociétés est le plus bas d’Europe, mais paie ses travailleurs détachés à partir de Chypre, où les taux de cotisations patronales, alors à 6,3 %, sont les plus bas d’Europe. »

Les Echos 17/10/2016