Vu du Web : la stratégie de la transparence

Afin de s’imposer, dans l’opinion publique et scientifique, comme des acteurs de référence, Google, Facebook ou Microsoft cherchent à publier dans des revues scientifiques et vont parfois jusqu’à divulguer les codes de certains programmes

« Informatique hybride exploitant un réseau de neurones avec une mémoire externe dynamique » : c’est sous ce titre pour le moins énigmatique que DeepMind, une entreprise d’intelligence artificielle appartenant à Google depuis 2014, a publié le 13 octobre un article dans Nature. Ce n’est pas la première fois que DeepMind voyait l’un de ses travaux acceptés dans les pages de la prestigieuse revue scientifique. En janvier, elle y avait ainsi publié un article historique : celui dans lequel elle annonçait qu’un de ses programmes informatiques, AlphaGo, avait réussi à battre le champion européen de go. Un exploit que les experts n’attendaient pas avant au moins dix ans et qui a préfiguré la victoire, deux mois plus tard, d’AlphaGo sur le Sud-Coréen Lee Sedol, considéré comme le meilleur joueur du monde.

Au total, trois articles ont déjà été publiés par DeepMind dans les colonnes de Nature. Ils témoignent de la volonté de Google de présenter ses recherches à la communauté scientifique, mais aussi de la qualité des travaux de ses équipes, susceptibles d’être acceptés dans les revues les plus renommées. Une stratégie sur laquelle le créateur du moteur de recherche américain n’est pas le seul à miser : la plupart des grandes entreprises du Web s’impliquent de plus en plus dans la recherche fondamentale. Mais quand certaines font le choix du secret industriel, d’autres – tel Google – choisissent au contraire de partager les avancées de leurs recherches. Du moins d’une partie d’entre elles, soigneusement sélectionnées. Avec l’objectif de s’imposer, dans l’opinion publique et scientifique, comme des acteurs de référence dans certains domaines – façon, aussi, de séduire les meilleurs chercheurs de la planète.

Imposer sa technologie

A grand renfort de communication, ces géants de l’informatique annoncent ainsi régulièrement la publication de leurs travaux aux scientifiques, voire au grand public. Facebook a par exemple publié en ligne plus de 200 articles, parfois cosignés avec des chercheurs universitaires, de Berkeley à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Certains vont même parfois jusqu’à jouer la carte de l’open source : ils rendent purement et simplement accessible à tous, gratuitement, le code source d’une partie de leurs programmes informatiques les plus aboutis. N’importe qui, individu, chercheur ou entreprise, peut s’en emparer, l’exploiter et le modifier à sa guise. Ces douze derniers mois, Google, Facebook et Microsoft, parmi d’autres, ont ainsi annoncé coup sur coup qu’ils allaient « rendre open source » certains de leurs outils d’intelligence artificielle. Chacun espère de cette façon imposer sa technologie et ses normes aux dépens des autres.

Dernière preuve de ce souci de partage : fin septembre, Google, Facebook, IBM, Microsoft et Amazon ont annoncé un partenariat inédit autour de l’intelligence artificielle visant à instaurer de « bonnes pratiques » dans ce secteur. Cette organisation à but non lucratif, qui mènera des recherches, s’engage à publier les résultats de ses travaux « sous une licence ouverte ». Cette fois, il ne s’agit pas seulement de séduire la communauté scientifique. Mais aussi, et surtout, de rassurer le grand public en se donnant une image de transparence, alors que l’inquiétude grandit autour des progrès de ces technologies et de l’influence grandissante de ces entreprises sur notre quotidien.
Le Monde 20/10/2016